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Addiction aux écrans, mythe ou réalité ?

Mise à jour le :

Des chercheurs bordelais ont étudié l’addiction aux écrans pour en démontrer la réalité. Leurs résultats montrent que même si cette addiction n’est pas aussi fréquente qu’imaginée, une part importante de la population se dit confrontée à des problèmes liés aux écrans. Une question de santé publique à prendre en compte ?

Photo : La prévention sur l'utilisation des écrans devient une nécessité ©DisobeyArt AdobeStock
La prévention sur l'utilisation des écrans devient une nécessité ©DisobeyArt AdobeStock

Smartphones, tablettes, ordinateurs, téléviseurs, consoles de jeu… Les écrans et Internet font partie du quotidien de chacun. En moyenne, les Français passeraient 20 heures par semaine sur les écrans dans le cadre de leur activité professionnelle, et 36 heures pendant leur temps libre1. Cette utilisation peut être considérée comme excessive lorsqu’apparaissent des problèmes de sommeil ou encore de performances scolaires par exemple. D’où l’expression « addiction aux écrans » qui s’est installée dans le débat public.

Mais celle-ci a-t-elle une réalité scientifique au sens psychiatrique du terme ? Comme on parle d’addictions à l’alcool, aux drogues, au jeu… qui sont reconnues par la communauté scientifique et bénéficient de traitements thérapeutiques adaptés. C’est ce qu’ont souhaité savoir les scientifiques du laboratoire SANPSY - Sommeil, addiction, neuropsychiatrie (CNRS et université de Bordeaux) grâce à une étude réalisée au sein de la population de Martignas-sur-Jalle, commune de Bordeaux Métropole. Ils ont publié les résultats dans le Journal of Medical Internet Research cet été.

Des recommandations préventives et éducatives nécessaires

Les adultes et adolescents de l’échantillon devaient répondre à un questionnaire sur leur usage des écrans aux cours des 12 derniers mois. Pour que l’addiction aux écrans soit médicalement qualifiée, il fallait que 5 des 9 critères recherchés2 soient présents et cela a été le cas chez uniquement 1,7 % des personnes interrogées. Ceci dément une croyance répandue que la majorité des utilisateurs des écrans auraient une addiction, précise Marc Auriacombe, professeur en psychiatrie et addictologie, directeur de SANPSY3 et cosignataire de l’étude. Ces chiffres sont d’ailleurs en concordance avec le pourcentage de 1 à 5% de la population générale qui souffriraient d’addictions aux écrans et aux jeux vidéo dans des études épidémiologiques.

L’étude a montré un autre résultat intéressant, pour le psychiatre. La proportion des personnes rencontrant des problèmes avec les écrans était assez importante : 44,7%, soit presque la moitié des personnes interrogées. « Il est donc nécessaire que la société se saisisse de ces questions qui nécessitent une intervention préventive et éducative ». Et, tout comme des campagnes de prévention autour de l’alcool, les drogues, le jeu… existent, il serait nécessaire de fournir à la population des recommandations sur l’usage des écrans pour réduire les risques et les dommages. Que ce soit concernant une durée quotidienne ou hebdomadaire, un âge limite d’utilisation, etc.

                         Présentation de l'équipe SanPSY Addiction

Des données locales à une implication internationale

Les pouvoirs publics se saisiraient d’autant plus de cette question si l’addiction aux écrans était reconnue dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), ouvrage de référence international décrivant et classifiant les troubles mentaux.

À ce jour, l’addiction au jeux d’argent est la seule addiction comportementale reconnue par le DSM (qui en est à sa 5e édition depuis 2013). Celle aux écrans reste encore controversée étant donné que l’écran est considéré à la fois comme l’objet de l’addiction, mais il peut aussi être le facilitateur vers d’autres addictions telles que celle aux jeux d’argents en ligne… Pour certains scientifiques, cela reviendrait à dire qu’une personne avec une addiction à l’alcool est plus dépendante au verre qu’à l’alcool qui s’y trouve, par exemple. Mais pour Marc Auriacombe, le phénomène de perte de contrôle mentionnée par les personnes interrogées irait tout de même dans le sens d’une réelle pathologie.

Les chercheurs bordelais ont alors mené une seconde vague d’analyses approfondies des données de Martignas-en Jalle pour étudier les propriétés des critères de l’addiction du DSM-5 lorsqu’ils sont appliqués aux écrans (méthode Item Response Theory). Ils ont pour cela collaboré avec des équipes de l’université de Columbia à New-York.

Leurs résultats vont dans le sens d’un seul et même diagnostic (l’addiction aux écrans) en montrant des spécificités liées aux addictions, comme une perte d’intérêt à d’autres activités que les écrans, la préoccupation (être souvent absorbé par les écrans, même lorsqu’on n’en utilise pas), mentir à propos de sa pratique des écrans ou la dissimuler, et risquer/perdre des relations ou des opportunités importantes à cause de l’usage d’écrans. Ces résultats devront être validés par d’autres études afin que cette nouvelle addiction puisse être répertoriée dans le DSM-6 d’ici quelques années. Ce qui permettrait notamment une prise en charge de soins adéquate et plus rapide des patients.

Un partenariat original

Dès 2015, les habitants et les élus de Martignas-sur-Jalle, à l’initiative de ces derniers, ont noué un partenariat avec les scientifiques du laboratoire SANPSY ainsi que le Centre de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) de l’hôpital Charles Perrens, composante du pôle interétablissement d’addictologie des hôpitaux de Bordeaux (CHU). Cette étude est l’aboutissement d’actions de proximités financée par l’Agence régionale de santé (ARS) Nouvelle-Aquitaine pour sensibiliser les professionnels à aller au-devant des populations vulnérables sur leur lieu de vie.

Si l’objectif de départ était d’étudier les usages d’écrans, qu’ils soient problématiques ou non, à l’échelle de la ville de Martignas-sur-Jalle, ce partenariat a été une réelle opportunité de « décloisonner la recherche sur les addictions pour mener des expériences de terrain, en lien avec les communautés locales », explique le professeur Marc Auriacombe. 300 Martignassaises et Martignassais, de toutes tranches d’âge, ont ainsi pu participer à cette étude via un questionnaire. Ce qui équivaut à 6% de la population. Un chiffre suffisamment significatif selon le chercheur, les études épidémiologiques en population générale étant de l’ordre de 1 à 2% d’une population ou moins.


 

1 - Étude réalisée par NordVPN en juin 2021, réalisée sur 5000 adultes dans quatre pays - https://nordvpn.com/fr/blog/temps-passe-en-ligne/

2 - Valeur dans l’ordre de grandeur de la prévalence de l’addiction aux jeux d’argent, seule addiction comportementale reconnue à ce jour dans le DSM-5.

3 - Professeur d’université et praticien hospitalier

Références bibliographiques

Item Response Theory Analyses of Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition (DSM-5) Criteria Adapted to Screen Use Disorder: Exploratory Survey
 

Boudard M, Alexandre JM, Kervran C, Jakubiec L, Shmulewitz D, Hasin D, Fournet L, Rassis C, Claverie P, Serre F, Auriacombe M
Journal of Medical Internet Research, 24 juillet 2022, doi: 10.2196/31803
 

Contact chercheur

  • Marc Auriacombe

    Professeur en psychiatrie et addictologie, directeur de SANPSY

    marc.auriacombe%40u-bordeaux.fr

Communication scientifique

  • Delphine Charles

    Chargée de communication scientifique de l'université de Bordeaux

    delphine.charles%40u-bordeaux.fr

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