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[Podcast] Rencard du savoir : comment s'aime-t-on ?

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Dans le cadre du festival la Fabrique du citoyen, en avril dernier, les Rencards du savoir se sont penchés sur nos manières d'aimer dans un monde où la carte des relations amoureuses et amicales est bousculée par l’évolution des règles contemporaines du vivre ensemble. Avec la sociologue Marine Lambolez, le démographe Nicolas Rebière et la psycho-sexologue Pauline Garcia.

Photo : © Melissa Askew, Unsplash
© Melissa Askew, Unsplash

Il existe aujourd'hui une grande diversité dans les relations amoureuses expérimentées par les jeunes adultes, ainsi qu’une redéfinition des normes de genre. Comment y voir clair, au-delà de certaines pratiques émergentes qui monopolisent parfois l'attention des médias ?

Un fait social soumis à de multiples définitions

D'après Nicolas Rebière, démographe au Centre de droit comparé du travail et de la sécurité sociale (COMPTRASEC) de l’université de Bordeaux, pendant longtemps les relations de couple hors mariage n'ont pas été étudiées en tant que telles, car elles ne participaient pas directement au renouvellement de la population. Les travaux démographiques se sont traditionnellement appuyés sur les mariages (et leur enregistrement à l'état civil) avant d'intégrer, à la fin des années 1990, la notion d'union cohabitante (apparue pourtant dès le début des années 1970). Ainsi, « les observations scientifiques menées par les démographes ne peuvent confirmer les tendances émergentes qu'a posteriori, souvent dix ans plus tard, avec une certaine latence », précise le chercheur en guise de préambule à son propos : « l'union est un fait social soumis à de multiples définitions ».

De fait, les notions de polyamour, de couples libres ou de trouples (dont les médias parlent beaucoup) n’apparaissent pas encore dans les grandes enquêtes statistiques et il y a peu d’informations à fournir. À l'échelle de la population, les couples de 25 à 65 ans restent majoritairement mariés, et un peu moins d'un quart de la population n'a pas de relation de couple qui compte vraiment, précise Nicolas Rebière.

Marine Lambolez, dans le cadre des travaux qu'elle mène pour sa thèse au Centre Max Weber de Lyon, observe que le couple reste un horizon désirable : « il y a toujours une norme très forte, et les adolescents se définissent de plus en plus jeunes comme "célibataires", même s'ils n'ont jamais eu de relation. Cela signifie qu'ils se voient eux-mêmes en défaut de quelque chose qui serait la relation de couple. » Pour la doctorante, cet horizon permet surtout de se séparer de l'enfance et de montrer une certaine maturité, comme une entrée dans le monde adulte qui permet, aussi, d'acquérir du capital social.

Le tout, d’après Pauline Garcia, est de regarder les apports des sciences humaines et les observations menées aujourd’hui sur le terrain (notamment l'enquête de l’Institut national d’études démographiques menée auprès de plus de 10 000 jeunes adultes âgés de 18 à 29 ans) qui montrent que 52% des jeunes ont des situations de conjugalité : « c'est important de re-questionner notre définition de l'amour, notamment les relations romantiques et le couple, puisque les dernières définitions qu'on retrouve dans la littérature ne semblent plus correspondre à la réalité des personnes qui sont autour de nous ».

Une grande variété d’influences

Pour expliquer ces évolutions, l'espérance de vie et la place de l'enfant dans la société sont deux facteurs déterminants dans la remise en cause du mariage, estime Nicolas Rebière. L'émancipation des femmes, le développement de leur autonomie, l'évolution de la relation femme-homme et le mouvement #MeToo ont aussi initié un mouvement de fond sur le long terme.

Sous l'effet du féminisme, il est aussi nécessaire de considérer le développement d'une vision beaucoup plus égalitaire des relations. Le fait que de nombreuses personnes de la communauté LGBTQIA+ assument leur(s) orientation(s) sexuelle(s) et leur identité de genre explique également le besoin de nouveaux référentiels, insiste Pauline Garcia. « La vision du couple et de l'amour qui correspondait à une certaine population ne convient plus, puisqu'on a désormais une autre vision du genre, une autre vision de l'amour, une autre vision de la sexualité ».

Des visions qui sont aussi façonnées par l'évolution des représentations dans le monde culturel (livres, séries TV, etc.), « avec des supports qui donnent des exemples de comment se passe une relation, de comment on peut réagir dans certaines situations », expose Marine Lambolez. Sachant, relève Pauline Garcia, que la recherche de nouveaux modèles est aussi perturbante pour la génération 18-29 ans.

Et la sexualité dans tout cela ?

Elle doit être dissociée de la notion de relation romantique, et peut souvent être associée à des notions peu positives. En ce sens, il peut être utile, comme le fait Marie Bergstrom dans La Sexualité qui vient (Éd. La Découverte), de distinguer les relations de couple des relations suivies et des relations de type « histoire d'un soir». « Ici, comme le rappelle Pauline Garcia, c'est le degré d'attachement qui joue le rôle de variable de contrôle, et qui explique aussi la diversité de situations qui peuvent être observées dans des relations suivies sans être en couple – de type sex friends, qui forment un entre-deux ».

Il est d’ailleurs tout aussi nécessaire de ne pas associer le recul du mariage à la fin du couple. La période actuelle se caractérise par un tiraillement ressenti par beaucoup de jeunes entre un besoin de liberté dans leurs relations et une norme conjugale qui reste très forte. « La panique morale, agitée par certaines personnes plus conservatrices, effrayées par l’idée que l’on puisse assister à la fin de la famille, n’a pas lieu d’être : le couple reste l’horizon désiré par une grande majorité de personnes », estime Pauline Garcia qui voit des réactions plus promptes à défendre un modèle traditionnel qu’à poser de vraies problématiques liées à l’amour.

 

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