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[Podcast] Débat autour du film «Les Engagés» : fraternité et solidarité envers les migrants

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Le 11 octobre dernier, le campus Victoire de l’université de Bordeaux a accueilli un ciné-débat autour du film «Les Engagés» d’Émilie Frèche. L'échange a abordé les réalités de l’accueil en France et de la solidarité envers les migrants.

Photo : Affiche du film «Les Engagés», d'Émilie Frèche
Affiche du film «Les Engagés», d'Émilie Frèche

« À quoi rime la fraternité dans un pays où l'on peut être condamné pour avoir porté secours à des migrants ? » Telle est la question au cœur de ce film sorti fin 2022 et inspiré du parcours d'une jeune nigériane de 20 ans, Blessing Matthieu, retrouvée morte dans la Durance en mai 2018 après avoir tenté d’échapper à un contrôle de police. Au même moment, des citoyen•nes étaient inculpés pour aide à l’entrée illégale des exilés (« affaire des sept de Briançon »), posant la question de notre devoir d'humanité dans un monde en crise.

Le cas particulier des mineurs isolés

La première partie de l'échange s'est concentrée sur les mineurs isolés et des jeunes migrants non accompagnés. Pour quantifier le phénomène, Marion Tissier-Raffin, enseignante-chercheure en droit public à l’université de Bordeaux, a commencé par expliquer que les statistiques disponibles ne sont pas totalement fiables : « elles se basent sur les ordonnances de placement pour la protection de l’enfance et on estime que le nombre de mineurs non accompagnés en France avoisine les 15 000, mais ce chiffre est sans doute sous-évalué ». La plupart ont entre 15 et 17 ans et viennent de pays comme la Guinée, la Côte d'Ivoire, la Tunisie et le Mali. Certains, notamment d'Afghanistan, demandent l'asile.
Les routes migratoires empruntées par ces jeunes sont souvent périlleuses. « La principale voie d’entrée en France reste la Méditerranée centrale, avec des passages par la Libye, la traversée de la mer au risque de leur vie, puis l’arrivée sur les îles italiennes comme Lampedusa », a détaillé Tissier-Raffin. « Ensuite, ils remontent vers la France. Pour éviter les contrôles, ils passent souvent par les Alpes ».

Émilie-Charlotte Caron, de La Cimade, a rappelé que les enfants ne sont en principe plus retenus dans les centres de rétention (CRA) en France métropolitaine depuis 2024, sauf à Mayotte où cette pratique continuera jusqu’en 2027. Certains cas complexes persistent néanmoins, tels ceux des personnes cataloguées comme majeures à leur arrivée en France, mais qui se révèlent être mineures après vérification.

« Faire reconnaitre leur minorité par un juge est une procédure très difficile et cette situation les expose à des conditions d’enfermement inadaptées ». Se pose aussi la question des enfants dont l'un des parents, généralement le père, est placé en rétention : « l’autre parent et les enfants peuvent être assignés à résidence, devant signer régulièrement au commissariat jusqu’à leur expulsion. Cela peut créer une pression psychologique forte sur le reste de la famille ».

La réalité des expulsions

Émilie-Charlotte Caron a détaillé les chiffres de la rétention : environ 40 000 personnes y sont enfermées chaque année, avec un taux d'expulsion de 31 % (ce qui suggère environ 12 400 expulsions, NDLR). Un taux d'expulsion qui reste stable malgré une augmentation de la durée d'enfermement, ce qui montre à ses yeux l'inefficacité de cette politique. « Augmenter cette durée, comme le souhaite le ministre de l'Intérieur, n'aura pas d'impact sur les expulsions effectives » a-t-elle précisé avant de rentrer dans le détail des processus d'expulsion et de leurs obstacles : lorsqu’une personne est placée en centre de rétention, c'est généralement en raison d’une « obligation de quitter le territoire français » (OQTF). Cependant, le renvoi dans le pays d’origine est souvent difficile à réaliser, notamment pour les personnes sans passeport. Obtenir un laissez-passer consulaire des pays d’origine est complexe, surtout si les relations diplomatiques sont tendues, comme avec l’Algérie.

Marion Tissier-Raffin a alors souligné que la France est le pays d’Europe qui prononce le plus de OQTF, environ 135 000 par an. Cependant, beaucoup sont annulées par le juge administratif, et la plupart sont émises pour des raisons de délais administratifs sans lien avec la délinquance. « Un étudiant étranger qui doit renouveler sa carte de séjour peut se retrouver sans papiers par faute de la préfecture et être visé par une OQTF, sans qu’il y ait de comportement délictueux de sa part » .

Droit d'asile et conditions de rétention

Le public réuni lors de ce Rencard du savoir était aussi curieux de revenir sur le droit d'asile, droit issu de la Convention de Genève de 1951 qui protège les personnes persécutées en raison de leur opinion politique, de leur religion de leur race (mot employé dans la Convention) ou de l'appartenance à un groupe social. En Europe, une « protection subsidiaire » existe aussi pour les personnes fuyant des zones de violence intense.

Marion Tissier-Raffin regrette l'absence de voies légales pour la migration économique, qui est telle que les États peuvent aujourd'hui accorder le statut de réfugié à ceux qui fuient la persécution mais restent libres de refuser des permis de séjour aux migrants économiques. « Le droit organise l'illégalité des étrangers et facilite leur exploitation par le travail dans des secteurs où la demande est forte, tel le secteur de la santé ». Pour ce qui est du droit d'asile climatique, malgré les impacts croissants du climat sur les déplacements forcés, le droit international n’offre encore aucune protection.

Emilie-Charlotte Caron est enfin longuement revenue sur les conditions de vie dans les centres de rétention, et notamment sur celui de Bordeaux. « Les centres de rétention ressemblent à des prisons, bien que les retenus n'aient commis aucun crime », a-t-elle expliqué, dénonçant cette situation, surtout lorsque les expulsions sont impossibles faute de relations diplomatiques entre la France et les pays d’origine.

Quid de la solidarité ?

Le débat est également revenu sur le délit de solidarité qui, bien que juridiquement encadré, peut mener à des poursuites pour ceux qui aident sans contrepartie. Emilie-Charlotte Caron a évoqué le cas de Cédric Herrou, militant qui a permis de faire évoluer la notion de fraternité comme principe juridique : « Malgré l’exception humanitaire, certains procureurs tentent encore de poursuivre des militants en prétendant qu’ils agissent par intérêt », a-t-elle expliqué. Toutefois, cette exception ne s’applique pas au franchissement des frontières, mais uniquement aux aides apportées sur le sol français, comme « conseils juridiques, linguistiques, [ou] alimentaires », rendant le soutien humanitaire « extrêmement limité ». Sans oublier les nombreux obstacles administratifs qui empêchent les associations comme la Cimade d'accompagner au mieux les migrants dans la régularisation de leurs situations...

Pour conclure, Marion Raffin a rappelé que les migrations ne concernent que 3,6 % de la population mondiale (selon les estimations de l'Organisation internationale pour les migrations en 2020, NDLR), soulignant que la liberté de circulation reste pour l'instant un privilège occidental

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