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Il était une fois… le poisson zèbre

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Utiliser un animal de laboratoire comme modèle de recherche mais aussi comme médiateur pour faire découvrir et aimer la science dès le plus jeune âge, c’est le pari relevé par l’enseignant-chercheur en biologie de l’université, Patrick Babin. Cette expérimentation pédagogique dans des classes du primaire au lycée fait l’objet d’une publication scientifique. Rencontre avec le principal intéressé.

Photo : Je me distingue par mes rayures bleu foncé. Joli, non ?  © Gautier Dufau
Je me distingue par mes rayures bleu foncé. Joli, non ? © Gautier Dufau

Je suis originaire d’Asie du Sud, je mesure environ cinq centimètres. Mon corps est orné de rayures bleu foncé horizontales. Mon petit nom scientifique est Danio rerio. Je suis, je suis… un poisson zèbre ! Oui je sais, il y avait un indice sur votre écran puisque mon nom était écrit dans le titre. Je nage devant vous aujourd’hui afin de vous raconter mon histoire. Alors soyez toutes ouïes ! Je suis donc un poisson zèbre, appelé aussi zebrafish, et j’évolue dans le monde de la recherche, mais pas que. La grande nouvelle est que je suis à la « une » d’une publication scientifique originale. Cela m’arrive régulièrement puisque je suis un des « modèles animaux » de laboratoire le plus utilisé en recherche mais on y reviendra. Mais là, je suis dans une rubrique peu habituelle pour moi, celle de faire aimer les sciences en montrant ma beauté.

Titre de la publication : Une approche cognitive et sensorielle fondée sur des ateliers utilisant le modèle du poisson zèbre favorise la découverte des sciences de la vie en classe (cf. encadré). Ça claque non ?! J’en frétille encore. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ne vous inquiétez pas, je vous explique tout.

Des bancs de poissons aux bancs de l’école

Avant cela, je dois vous présenter l’instigateur de tout cela, le monsieur en chemise colorée, lunettes et yeux rieurs qui se tient à côté de moi : Patrick Babin. Patrick est professeur de biologie à l’université de Bordeaux, il enseigne également à l’université Bordeaux Montaigne et il travaille au sein du laboratoire Maladies rares : génétique et métabolisme (MRGM)*. C’est là où je vis avec mes bancs de... camarades dans nos aquariums du bâtiment B2 sur le campus Bordes. Patrick, c’est le prof de bio que vous auriez tous rêvé d’avoir et pourtant il n’était intéressé que par la recherche depuis très jeune. Du labo de chimie qu’il avait installé dans le garage de ses parents aux mares dans lesquelles il allait courir jusqu’aux cultures en tout genre qu’il cachait sous son lit… tout révélait un goût précoce pour l’expérimentation. Et aussi - et surtout - une « fascination pour la beauté de la nature, un émerveillement pour la perfection des organismes biologiques ».

En thèse à Paris en biologie du développement, on lui confie un cours avec 300 étudiants de licence. Un saut abrupt dans le grand bain de l’enseignement dans lequel il se retrouve… comme un poisson dans l’eau (oui, je sais, elle était facile celle-là !). Il avait déjà le besoin d’aller capter l’attention de toutes et tous, sans un haussement de voix, juste par le partage de sa passion. Convaincre le ventre mou des élèves, aller chercher les réfractaires du fond de la classe… c’est aussi ce qu’il va vouloir faire à Bordeaux avec l’association ZebraCool créée en 2017. Une association, rien que pour moi ! Je ne vous cache pas que ça a fait des jaloux dans les mers et les ruisseaux. Avec son équipe, et notamment ses étudiantes et étudiants, Patrick m’emmène en immersion dans les salles de classe ! Mais oui, dans un aquarium évidemment… sinon comment pourrais-je survivre ? Je suis un poisson, n’oubliez pas ! Alors le programme de ZebraCool, c’est de faire découvrir les sciences du primaire au lycée via une approche cognitive et sensorielle.

Patrick Babin est à l'origine de la création de l'association ZebraCool, une association rien que pour moi ! © Gautier Dufau
Patrick Babin est à l'origine de la création de l'association ZebraCool, une association rien que pour moi ! © Gautier Dufau

C’est-à-dire qu’au lieu d’expliquer sur un ton un peu professoral devant la classe, par exemple, que j’ai des lignes latérales pourvues de cellules ciliées sur le corps (comme dans votre oreille interne) pour percevoir les sons qui m’entoure… l’équipe de ZebraCool fait créer et peindre aux enfants un corps de poisson auquel ils vont ajouter des écailles, une à une, puis des cils sensoriels qu’ils vont pouvoir toucher, dans un sens, puis dans l’autre.

Réunion de famille

À ce moment-là, vous pouvez leur expliquer comment le poisson – moi donc – entend, et vous avez toute leur attention. Comme le précise Patrick, « les élèves deviennent acteurs de leur apprentissage, expérimentent, observent et développent un esprit critique. Ce dispositif innovant vise à susciter la curiosité et le plaisir de comprendre, tout en renforçant la confiance des enseignants. Il permet aux élèves de percevoir leur "poisson intérieur", révélant les liens évolutifs entre l’humain et les autres espèces. » C’est ça, la méthode ZebraCool, et ça méritait bien une petite publication, non ? L’équipe anime des ateliers ponctuels de quelques heures ou met en place un programme pour l’année dans des écoles ou collèges. Dans ce cas, les chercheurs apportent deux ou trois aquariums, des camarades à moi dont il faut s’occuper… Et tout le monde s’y met, petits et grands ! Et ensuite, c’est parti : anatomie comparée, on observe mon développement, mon cœur qui bat, mon sang qui circule, ah, oui, j’ai oublié de vous dire que je suis quasiment transparent au début de ma vie, on observe mon comportement, etc. Tout passe selon une approche initialement sensorielle et par l’expérience. Expérience, pas expérimentation animale… Je ne suis utilisé, ici, qu’à des fins pédagogiques. Parce qu’au labo, c’est une autre histoire qu’il faut aussi que je vous raconte. Tout d’abord, je dois vous parler de la première fois où j’ai rencontré Patrick. C’était en Indonésie lorsqu’il voyageait, jeune étudiant, et qu’il m’a vu nager dans une cuve d’eau au sein d'une famille chez laquelle il vivait. La famille m’utilisait pour vérifier que l’eau qu'elle buvait était potable. Oui, je ne nage pas dans n’importe quelle eau moi ! Trop acide, trop polluée… je ne reste pas. Mais si je vais bien, c’est que vous pouvez boire en toute tranquillité. Malin, non ?

Les ateliers avec les enfants en classe, ils nous dessinent sous toutes les coutures ! © Association ZebraCool
Les ateliers avec les enfants en classe, ils nous dessinent sous toutes les coutures ! © Association ZebraCool

À l’époque, pas d’internet, donc Patrick m’a dessiné pour déterminer plus tard qui j’étais. Puis au début des années 90, j’ai commencé à être utilisé de plus en plus en laboratoire. D’ailleurs, c’est Patrick qui, parmi les tout premiers, m’a introduit dans un laboratoire. Pourquoi ? Alors là, j’ai une révélation à vous faire. Vous êtes assis ? Nous partageons un ancêtre commun qui a vécu il y a 450 millions d’années ! Oui, vous, les humains, et moi le petit poisson. Je sais, la ressemblance n’est pas flagrante au premier abord, mais nous avons de très nombreux points communs.

Petit modèle, grands enjeux

Mais je présente des processus biologiques très conservés : commande motrice de la locomotion, jonctions neuromusculaires, transmission du signal nerveux... En d’autres termes, je bouge mes nageoires comme vous, vos bras et vos jambes. Je n’en ai pas l’air mais je suis très sophistiqué. Comme vous ! Je suis ainsi un modèle pertinent pour comprendre les fonctions de base du vivant, et ce qui dysfonctionne dans certaines maladies génétiques ou induites par des substances toxiques. C’est là que l’histoire devient un peu triste. Donc âmes sensibles, s’abstenir ! Outre le fait que je suis plutôt simple et rapide à élever, mes embryons de moins de cinq jours après la fécondation ne sont pas considérés comme des animaux au sens de la réglementation européenne, car non sensibles à la douleur. Il est plus simple de pouvoir m’utiliser à ce moment-là pour la recherche. Et c’est aussi ce qui a guidé Patrick dans le fait de m’utiliser par rapport à d’autres animaux comme les rongeurs, parce qu’il trouvait cela trop difficile. Je comprends que toutes ces questions autour de l’expérimentation animale ne soient pas simples. Mais dans un contexte de réglementation visant à réduire l’utilisation des rongeurs, j’offre néanmoins une alternative crédible. Retenez cela.
 

Un copain poisson zèbre, mais lui est transparent. Classe et pratique pour visualiser le fonctionnement de son corps ! © Gautier Dufau
Un copain poisson zèbre, mais lui est transparent. Classe et pratique pour visualiser le fonctionnement de son corps ! © Gautier Dufau

Au laboratoire MRGM, les chercheurs étudient les effets de neurotoxines et de perturbateurs endocriniens comme les molécules obésogènes. Comme l’explique très bien Patrick, « environ 95 % des cas d’obésité et aussi de neurodégénérescences ne sont pas d’origine génétique, mais résultent de l’environnement chimique ». Et son équipe ne s’arrête pas à l’observation mais explore les voies de réparation des effets neurotoxiques comme par exemple des organophosphorés. Kezako me direz-vous ? Et bien ce sont molécules présentes dans certains pesticides ou retardateurs de flamme, responsables d’effets graves sur le système nerveux. Et elles ne sont bonnes ni pour moi, ni pour vous ! Les chercheurs participent à différents projets nationaux et européens autour de ces questions-là et l’équipe de Patrick est connue au niveau international pour ses travaux. Il existe plus de 350 000 molécules chimiques dans notre environnement, dont la plupart n'ont pas fait l'objet d'une évaluation de leur toxicité. Cela en fait du travail pour les chercheurs, mes petits camarades et moi. D’ailleurs, j’ai plein de copains au labo, beaucoup avec des magnifiques bandes bleu acier longitudinales qui ornent le corps sur toute sa longueur comme chez moi, d’autres en mode léopard avec des points, certains transparents et d’autres encore fluorescents… Toute une équipe pour aider au mieux les chercheurs.
Avant de repartir nager - et participer à la recherche - avec mes camarades, j’aimerais vous laisser avec les mots de Patrick, qui résume mieux que quiconque mon histoire et ce lien précieux entre science et émotion. « Vous voulez que vos enfants aiment la science ? Alors, parlez-leur de beauté. »

*unité Inserm et université de Bordeaux

 

Références bibliographiques

A cognitive and sensory approach based on workshops using the zebrafish model promotes the discovery of life sciences in the classroom

Laure M Bourcier , Patrick J Babin

Biology Methods and Protocols, Volume 9, Issue 1, 2024

Lien vers la publication

Contacts

  • Patrick Babin

    Professeur de biologie à l'université de Bordeaux
    Unité Maladies rares : génétique et métabolisme (MRGM)

    patrick.babin%40u-bordeaux.fr

  • Delphine Charles

    Chargée de communication scientifique

    delphine.charles%40u-bordeaux.fr