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Le droit ou la recherche du devoir-être

Mise à jour le :

Le département Droit et transformations sociales regroupe des chercheurs spécialistes en droit et science politique. Où en est la recherche dans ce domaine à Bordeaux et comment s’exerce-t-elle ? Éléments de réponse avec les responsables du département, Olivier Décima et Alain Pariente, à l’occasion du 1er épisode d’une série consacrée aux onze départements de recherche de l’université de Bordeaux.

Photo : Alain Pariente (à gauche) et Olivier Décima, responsables du département DETS  © Gautier Dufau - université de Bordeaux
Alain Pariente (à gauche) et Olivier Décima, responsables du département DETS © Gautier Dufau - université de Bordeaux

Inscription de l’IVG dans la constitution, mouvements #metoo sur le consentement, débat sur la fin de vie, loi immigration, simplification des normes agricoles, plainte pour inaction climatique… tous ces sujets variés qui font l’actualité ces dernières semaines ont un point commun : le droit.
Rien d’étonnant pour Olivier Décima et Alain Pariente, juristes et respectivement directeur et directeur-adjoint du département de recherche Droit et transformations sociales (DETS) de l’université de Bordeaux.

« Nous sommes une recherche très citoyenne, très transition… Les sujets qu’on traite ont un impact direct sur la vie des gens même si c’est parfois méconnu » précise Olivier Décima.
D’où la mention de « transformations sociales » ajoutée au nom du département, dès sa préfiguration en 2018, avec l’objectif d’avoir une recherche en droit et science politique plus visible au plan sociétal

« Aujourd’hui, nous abordons les sujets par un prisme plus global et moins disciplinaire (droit public, droit privé, histoire du droit, politique…) », poursuit Alain Pariente. La communauté bordelaise, avec ses 210 enseignants-chercheurs et 330 doctorants, est donc très présente sur des thèmes divers et très actuels autour de l’environnement, avec par exemple des questions sur le statut de l’eau (la Garonne peut-elle posséder la personnalité juridique ?), des budgets verts, etc. Un volet transition sociétale avec les thématiques de l’inclusion, du genre… sont également au cœur de leurs recherches ainsi que celles ayant trait à l’enfance, la protection de la famille, les violences conjugales. Le département organise d’ailleurs régulièrement des webinaires (disponibles en ligne) sur ces sujets.

Alain Pariente et Olivier Décima du département DETS

"Le droit est une réalité tangible. C’est un instrument de stabilité sociale et même un contre-pouvoir"

Olivier Décima et Alain Pariente, directeur et directeur-adjoint du département

Produire des normes et les étudier

« Nous suivons l’activité sociale. Le droit est un reflet de la vie sociale posé selon les époques, en réaction et en anticipation » rappelle Olivier Décima. Quel est le rôle de la recherche en droit dans ce cadre ? Elle est de préparer des solutions juridiques à des problèmes sociétaux, résume-t-il. Pour cela, les juristes regardent et analysent ce qui a été fait par le passé, ce qui est fait ailleurs (droit international et droit comparé) et ce qui se fait actuellement. Leur objet d’études : la norme juridique. « C’est une règle de conduite partagée avec d’autres disciplines académiques dont la particularité réside dans sa procédure d’élaboration et la sanction qui en découle s’il y a violation. Nous produisons des normes et les étudions ». Mais justement n’y a-t-il pas trop de normes en France ? Au moment du dernier mouvement social agricole, l’exemple du taillage des haies soumis à diverses règlementations et codes (rural, urbanisme, environnement, patrimoine, santé publique… et divers arrêtés locaux ou politique européenne) a souvent été pointé du doigt par les agriculteurs. Olivier Décima concède qu’il y a beaucoup de normes, lui-même spécialiste de sciences criminelles n’est pas certain de connaître le nombre d’infractions pénales en France. Pour Alain Pariente, juriste de droit public – ou publiciste – l’important réside dans la rigueur de trouver toutes les hypothèses à une situation et surtout dans l’intelligibilité, et l’accessibilité, pour tous de la norme plutôt que son nombre. Elle permet d’avoir des recours juridiques dans certaines situations, rappelle-t-il. Mais il admet « qu’une des difficultés fondamentales du droit est sa complexité qui doit néanmoins être revendiquée pour toutes ces raisons. »

 

Analyser, conseiller et alerter

« Le juriste interroge le devoir être et non l’être. Comment la société doit évoluer et changer la norme et surtout comment, avec pour ligne directrice le principe d’égalité devant la loi », précise le directeur du département. La norme est ce qui se rapproche le plus d’une donnée scientifique solide – mais qui peut être questionnée et évoluer - et qui fait du droit une science juridique.
La norme peut évoluer mais pas à n’importe quel prix. Le droit est une réalité tangible. C’est un instrument de stabilité sociale et même un contre-pouvoir, tiennent-ils à préciser. « En France, on met au pouvoir un président de la République - quel qu’il soit - assujetti à des règles qui lui sont supérieures. C’est l’existence de l’État de droit, protecteur pour la société », souligne Alain Pariente. « C’est faux de penser qu’on va élire quelqu’un et que tout va changer. Il n’a pas les mains libres, et heureusement. » Les juristes et les politistes, qui, eux, étudient justement les comportements en lien avec l’action politique et la pratique des pouvoirs, analysent, conseillent voire alertent.


 

Les juristes peuvent être directement sollicités en tant qu’experts par un ministère, la Cour de cassation ou le Sénat, dont le siège se trouve au Palais du Luxembourg à Paris © Adobe Stock - anamejia18
Les juristes peuvent être directement sollicités en tant qu’experts par un ministère, la Cour de cassation ou le Sénat, dont le siège se trouve au Palais du Luxembourg à Paris © Adobe Stock - anamejia18

Comment, d’ailleurs, se fait la recherche en droit et science politique ? Les chercheurs ont un travail de proposition, de prospection, d’amélioration et de conseils, expliquent les directeurs du département qui regroupe huit unités de recherche. Ce travail peut se faire de façon fondamentale, c’est-à-dire que la recherche n’est pas commandée, elle est à l’initiative des chercheurs qui réfléchissent à des questions juridiques et politiques précises, diffusées dans des publications lues entre pairs. Ils peuvent aussi répondre à des commandes sociales, participer à des colloques, journées d’études, etc. Et enfin ils peuvent être directement sollicités en tant qu’experts par un ministère, la Cour de cassation, le Sénat… et travailler directement sur la rédaction d’une loi. Des plateformes d’expertise peuvent également être créées pour aider les politiques publiques, comme à Bordeaux, celle sur les finances locales (profil dataviz) ou encore l’Observatoire des politiques publiques en situation d'épidémie et post-épidémie (OPPEE) et celui tout récent de la surveillance en démocratie. Pour Alain Pariente, il est important de souligner que ces recherches se font à l’université, qui est un service public. « Une de nos forces est aussi que nous pouvons directement diffuser le fruit de nos recherches à nos étudiants, dont certains exerceront demain des fonctions à responsabilité ».  ​​​​​​

Le vide juridique existe-t-il ?

Ont-ils vu leurs recherches évoluer ces dernières années ? Pas intrinsèquement, expliquent ceux qui sont habitués à suivre les évolutions à la fois de la société et des techniques, et les responsabilités qui les structurent. Drones, véhicules autonomes, Intelligence artificielle avec ChatGPT… sont des évolutions technologiques à traiter. Celle de l’IA est particulière et peut être la seule qui pourrait influer sur leurs pratiques. En effet, une forme de justice prédictive dans le but d’améliorer la possibilité de décision grâce à des algorithmes a pu être expérimentée dans certains tribunaux, mais sans grand succès pour le moment, indique Olivier Décima.
Et qu’en est-il du vide juridique, expression qui ressort régulièrement à chaque nouveau débat de société pour justifier de besoins de loi ? Il n’existe pas selon eux. « Les avancées sont souvent plus politiques que juridiques. Lorsque le sujet est clivant et symbolique – comme la fin de vie – la montagne accouche souvent d’une souris car il existe déjà beaucoup de lois et souvent plus que le public ne le pense », poursuit Olivier Décima. L’évolution la plus importante qu’ils ont observée ces dernières années à l’université concerne sans doute la création même du département de recherche en droit et transformations sociales. « On exploite bien davantage notre potentiel » grâce, notamment, aux projets de recherche citoyenne, interdisciplinaires et inter-unités. Ils ont vécu, même dans leurs rapports personnels, le rapprochement des communautés, notamment entre les publicistes et les privatistes (spécialistes de droit privé).
« On a une force de frappe très importante au plan national, on est une recherche académique de très haut vol », concluent Olivier Décima et Alain Pariente, heureux d’un « dynamisme collectif qui nécessite d’être remarqué ».

Contacts

  • Delphine Charles

    Chargée de communication scientifique

    delphine.charles%40u-bordeaux.fr

  • Clémence Boinot

    Chargée d'animation scientifique du département DETS

    clemence.boinot%40u-bordeaux.fr

  • Droit et transformations sociales

    Consulter la page du département Droit et transformations sociales

Site du département DETS

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