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Écoconstruction : et si les solutions surgissaient du passé ?

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Face au changement climatique, d’anciens matériaux de construction plus ou moins délaissés retrouvent leurs lettres de noblesse. À travers les exemples du bois, de la paille ou encore de la terre crue, le Rencard du savoir du 21 décembre 2023 invitait à habiter notre monde autrement.

Photo : Atelier de fabrication de briques en terre crue et maquette de l'exosquelette en pin maritime vert pour le projet Imago © Emma Penot
Atelier de fabrication de briques en terre crue et maquette de l'exosquelette en pin maritime vert pour le projet Imago © Emma Penot

Des briques en champignon, un biociment fabriqué à partir de microalgues, un bois transparent pour remplacer le verre (mais avec une résine plastique)… De telles inventions ne manquent pas d’être mises en avant dans les médias, et pour cause : il y a urgence à verdir le secteur du bâtiment.

Les principaux matériaux de construction utilisés aujourd’hui participent activement au réchauffement climatique, à l’image du ciment. Selon l'association Global Cement and Concrete, sa production serait responsable à elle seule de 5 à 8 % des émissions mondiales de gaz à effets de serre. S’ajoutent d’autres enjeux environnementaux, comme l’artificialisation des sols ou la surexploitation du sable pour produire le béton et le verre.

Il faut donc innover dans le BTP, mais… est-il forcément nécessaire de réinventer la roue ? Plutôt que de parler nouveaux matériaux, c’est en convoquant la paille, le bois ou encore la terre crue que des étudiantes et des étudiants de la licence Sciences Société (CPES) de l'université de Bordeaux ont abordé la problématique.

Lors d’un Rencard du savoir organisé à la Manuco à Bordeaux le 21 décembre dernier, ils ont invité Emma Penot, architecte en charge d’un projet de logement étudiant intitulé Imago, Carola Guyot, cheffe de projet des chaires BioForTer et E2WP sur la construction bois* et Grégory Morvan, directeur de la stratégie et du développement soutenable dans un groupe spécialisé dans le bâtiment, à échanger sur le sujet.

Réinterpréter les matériaux anciens

Les matériaux dits biosourcés, car provenant d’êtres vivants (généralement des végétaux), connaissent aujourd’hui un regain d’intérêt. Le bois, la paille, le chanvre ou encore le lin proviennent de ressources renouvelables, demandent peu d’énergie pour être travaillés et, étant composés de matière organique, stockent du carbone. Utilisés comme éléments structurants, mortiers ou isolants, ils répondent tant à des besoins de lutte contre le changement climatique que d’adaptation à ce dernier.

S’ils n’ont rien de novateurs en eux-mêmes, ce sont leurs conceptions et usages qui le deviennent à l’aune des enjeux environnementaux. Ils invitent à embrasser un autre regard sur l’innovation, comme le fait Carola Guyot qui distingue l’invention de l’innovation en se référant à l’économiste Joseph Schumpeter. L’innovation consiste « à faire différemment avec les mêmes choses », résume-t-elle. Le projet Imago, présenté par Emma Penot, en est une illustration.
La conception du prototype de logement a été pensée selon les matériaux présents à proximité. La structure porteuse est ainsi réalisée en pins maritimes, un arbre pourtant peu plébiscité pour la construction, si ce n’est le bardage... « Il a beaucoup de nœuds, qui sont des points de fragilité », reconnaît l’ingénieure. Qu’à cela ne tienne, pour contourner le problème tout en réduisant les coûts et l’empreinte écologique de la transformation du bois, ce sont des troncs entiers, simplement dénudés de leur écorce, qui ont été employés. Utilisés ainsi en bois vert (non séché), ils assurent leur rôle d’éléments structurels.

Une matière vivante

Un tel exosquelette en bois nécessite d’être complété par un matériau lourd, pouvant se charger en chaleur. Toujours dans l’idée de se fournir localement, c’est un matériau dit géosourcé qui a été choisi : de la terre crue. Provenant d’un chantier d’excavation, elle a l’avantage d’être recyclée et… gratuite ! Apporter les déblais en déchetterie a en effet un coût pour les entreprises du BTP et elles les cèdent volontiers.

Grâce à un chantier participatif, ce sont 300 briques en terre crue qui ont déjà été fabriquées. « Le fait d’impliquer ainsi les futurs habitants fait naître en eux compréhension et amour pour leur futur logement », se réjouit l’ingénieure. Le rapport à la matière qu’offre de tels matériaux change plus largement le quotidien des ouvriers. Il ne s’agit plus de couler du béton à une cadence élevée mais de manipuler et façonner la terre crue, la paille... « C’est redécouvrir une autre façon de travailler, note Grégory Morvan. Et dans un secteur en pénurie de main d’œuvre, cela recrée des vocations. »

Il suffit même d’être entouré par ces matériaux biosourcés ou géosourcés pour en ressentir les bienfaits. En présence d’éléments en bois dans une pièce, plusieurs études montrent une amélioration du bien-être ainsi qu’une réduction du stress et de la fatigue.

Le béton, bientôt délaissé ?

Comme le notent Carola Guyot et Grégory Morvan, si les collectivités locales portent de plus en plus de projets écoconçus, ils restent encore rares. Le coût à la construction freine les promoteurs, qui ne résonnent pas toujours sur le long terme, les compétences techniques peuvent manquer et les assurances sont encore frileuses. Mais le plus grand frein, c’est peut-être bien notre imaginaire ! Ces deux petits cochons qui ont vu leur maison de paille et de bois souffler en un rien de temps restent dans tous les esprits. « Je suis moi-même encore constamment surprise de voir que la terre puisse tenir des poutres en bois, et celles-ci porter un grand bâtiment !», confie Emma Penot.Pourtant, que les anxieux se rassurent : le Centre scientifique et technique du bâtiment soumet tout matériau à des bans d’essais avant de certifier tel ou tel usage. De nombreux tests de résistance au feu ont par exemple été réalisés sur des murs en bottes de paille, avec de bons résultats à la clef – celle-ci contenant très peu d’oxygène.
Au cours du café-débat, les intervenants ont également parlé isolation thermique, confort hygrométrique ou encore d’autres alternatives au béton « classique », comme le béton d’argile. Des échanges à (re)découvrir en captation audio, pour mieux entrevoir ces bâtisses où dans vingt ou trente ans il pourrait, peut-être, faire encore bon vivre.

  • Imaginer l'habitat étudiant de demain

    Avec l'équipe du projet IMAGO, la jeune architecte Emma Penot conçoit un logement étudiant dont tout le cycle de vie est étudié pour être le plus frugal possible.

Par Yoann Frontout, journaliste scientifique et animateur des Rencards du savoir

*Bioforter (Bioéconomie, forêts et territoires) est portée par Bordeaux Sciences Agro, E2WP (Eco engineering wood products) par l’université de Bordeaux au sein de l’Institut de mécanique et d’ingénierie de Bordeaux (I2M). Les deux sont soutenues par la Fondation Bordeaux Université.