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Comprendre le rapport à la laïcité des jeunes Français

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Le 9 décembre est l’anniversaire de la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État, texte fondateur du principe de laïcité en France. Cette date, marquée chaque année par la Journée nationale de la laïcité, prend cette année un relief particulier avec les 120 ans de la loi. À cette occasion, Charles Mercier, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Bordeaux, revient sur son dernier livre, coécrit avec Philippe Portier, Les jeunes et leur laïcité, paru aux Presses de Sciences Po en octobre 2025.

Photo : Étudiantes sur un campus bordelais © université de Bordeaux
Étudiantes sur un campus bordelais © université de Bordeaux

Pourquoi ce livre ?

Charles Mercier : À travers ce livre, nous avons voulu mieux comprendre les 18-30 ans et proposer une approche distanciée de leur rapport à la laïcité, souvent commenté mais peu étudié scientifiquement. Les jeunes Français âgés de 18 à 30 ans ont grandi dans une France mondialisée, et dans une école où les signes religieux étaient interdits, qui s’est retrouvée confrontée à la violence commise au nom de la religion. Ils sont nés avec Internet et ont connu l’expansion fulgurante des réseaux sociaux.
Quelles sont les conséquences de ce contexte pour leurs représentations de la laïcité. Quel sens donnent-ils à ce principe ?
La fracture générationnelle souvent évoquée est-elle réelle ?

Quelle méthodologie avez-vous adoptée ?

CM : L’enquête s’appuie sur un échantillon de 1000 jeunes, tranche d’âge représentant 9,9 millions de personnes, soit 15 % de la population française. Nous avons combiné une approche quantitative via questionnaire et une approche qualitative.
Nous avons réalisé 29 entretiens semi-directifs d’environ une heure avec des participants sélectionnés avec l’aide d’une société de panel en fonction de l’âge, du lieu de résidence, de la catégorie socioprofessionnelle, du genre et du niveau de diplôme.
Nous avons été frappés par la disponibilité des interviewés et par l’enthousiasme avec lequel ils ont partagé leur point de vue sur la laïcité, un sujet sur lequel on leur donne rarement la parole. Écouter ces jeunes a été passionnant : souvent idéalistes et réfléchis, ils font preuve d’une ouverture à l’altérité encourageante. 
Cela m’a donné confiance pour l’avenir !

Charles Mercier © université de Bordeaux
Charles Mercier © université de Bordeaux

Quels sont les enseignements majeurs de cette enquête ?

CM : Les jeunes sont attachés à la laïcité (85 % d’entre eux en ont une image positive), mais 60% considèrent qu’elle est instrumentalisée par certaines personnalités politiques et médiatiques pour dénigrer l’islam et les musulmans. Les nouvelles générations tendent à définir la laïcité comme un régime d’ouverture à la pluralité plutôt que comme un cadre identitaire ou sécuritaire.
Pour eux, elle garantit l’égalité entre citoyens et la liberté de culte, et ne constitue pas un outil pour faire reculer la place de la religion dans l’espace public. Ils sont attachés à la laïcité du 9 décembre 1905 plus qu’à celle de la loi du 15 mars 2004 (qui interdit le port de signes religieux ostensibles à l’école publique).  
Ce travail souligne également que les 18-30 ans entretiennent un rapport à la religion plus décomplexé que leurs aînés.
Pour certains, le spirituel est une ressource face à un contexte écologique, géopolitique et culturel anxiogène. Ils sont plus tolérants vis-à-vis du port des signes religieux à l’école, en entreprise et même dans la fonction publique, notamment, mais pas uniquement, parmi ceux pour qui la religion joue un rôle important dans leur vie.
Cela dit, la jeunesse n’est pas homogène : elle est traversée par des différences sociales, culturelles, politiques et religieuses.
Le genre tend à devenir clivant. Nous avons distingué six familles différentes de jeunes selon leur rapport à la laïcité.

Avez-vous été étonnés par certains propos ?

CM : Nous avons été surpris de constater que cette génération ne fait pas, contrairement au narratif dominant, « bande à part » sur la laïcité et les enjeux sociétaux. Malgré leur spécificité en matière de signes religieux, les 18-30 ans convergent avec leurs aînés sur les valeurs qui sous-tendent la laïcité : liberté, égalité, tolérance, refus de l’absolutisme religieux.
À l’unisson du reste de la société, ils sont en demande de fermeté et de cadres, allant parfois jusqu’à manifester une nostalgie de l’autorité. Ils sont attachés à la France et à son histoire beaucoup plus que leurs homologues des années 80.
Entre contestation et continuité, la laïcité des jeunes Français révèle ainsi autant les divisions que les points d’ancrage de notre société.

Les deux auteurs

Charles Mercier est professeur d’histoire contemporaine à l’université de Bordeaux, membre de l’INSPE ; il y enseigne notamment la laïcité aux étudiants en master MEEF. Il est également membre du Laboratoire Cultures, éducation, sociétés.
Philippe Portier est politologue, directeur d’études à l’École pratique des hautes études et membre du Groupe Sociétés, religions, laïcités qu’il a dirigé de 2007 à 2018.

À l'université, un rendez-vous régulier sur la laïcité

Lundi 8 décembre, Station Marne, sur le campus de la Victoire, accueillait une conférence-débat sur la laïcité, un rendez-vous annuel initié par la vice-présidente en charge du conseil d’administration Catherine Gauthier, également référente laïcité de l'université de Bordeaux. La conférence a été introduite par le bref exposé des très rares sollicitations reçues l’an dernier en cette qualité par Catherine Gauthier, ainsi que par ses homologues de l’Université Bordeaux-Montaigne, Jean-Pierre Moisset, et Bordeaux INP, Dominique Salles. En deuxième partie, l’enseignante Hélène Katz a présenté un dispositif déployé dans un collège de Cenon pour aborder sans fard la question des religions et de la laïcité avec les élèves, et le débat s’est élargi sur ce qui peut apparaître comme une « particularité bordelaise » - un « micro-climat particulièrement apaisé » - nourri notamment par les politiques municipales passées favorisant le dialogue inter-religieux.

© université de Bordeaux
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