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IA, climat, commerce… l’économie européenne a fait escale à Bordeaux

Mise à jour le :

Près d’un millier de chercheuses et chercheurs venus d’une cinquantaine de pays se sont réunis à l’université de Bordeaux pour la 40e conférence annuelle de la European Economic Association (EEA). Un rendez-vous rare en France qui, en plus d’offrir à Bordeaux Sciences Économiques (BxSE) une vitrine internationale et de nouvelles collaborations, a permis de faire le point sur la situation actuelle et à venir. Décryptage avec le directeur de BxSE et professeur en économie, Jean-Marc Figuet.

Photo : Le siège de la Banque centrale européenne (BCE) à Francfort qui envisage la création d'un crypto-euro © ilolab / adobestock.com
Le siège de la Banque centrale européenne (BCE) à Francfort qui envisage la création d'un crypto-euro © ilolab / adobestock.com

Pourquoi l’accueil de la 40e édition de la conférence de l’European Economic Association (EEA) à Bordeaux représentait-il un enjeu majeur pour BxSE et le campus bordelais ?

L’EEA est la plus grande association académique d’économistes en Europe, créée en 1984. Elle anime la recherche économique au niveau européen et n’organise qu’un colloque par an, sélectionné selon la visibilité et la qualité scientifique du laboratoire hôte. La dernière conférence en France remontait à 2014. Accueillir cette édition à Bordeaux représentait donc une occasion exceptionnelle – peut-être unique – d’ouvrir nos portes aux collègues internationaux au sein de Bordeaux Sciences Économiques (BSE*) sur le campus Montesquieu à Pessac, et de mettre en valeur la qualité de notre recherche, de nos équipements et de notre accueil.
Ce rendez-vous est l’un des plus cotés au monde, c’est donc un signal de qualité d’être accepté pour une communication. Il y a eu un millier de participants à Bordeaux du 25 au 28 août. Une cinquantaine de nationalités étaient représentées, européennes évidemment mais aussi des chercheuses et chercheurs venus d’Inde, du Vietnam, de Chine, de Russie, d’Ukraine, du continent américain…
Nos chercheurs se sont fortement mobilisés : beaucoup ont participé aux débats et certains ont même présidé une vingtaine de sessions parallèles, en plus des conférences et tables rondes quotidiennes.

Quels grands sujets ont dominé les débats ?

Deux thèmes se sont imposés : l’intelligence artificielle et la décarbonation.
Sur l’IA, il y a une prise de conscience générale. À la fois sur des aspects très positifs :  on peut automatiser des tâches, on libère de la main-d’œuvre pour d’autres activités. Et sur les aspects négatifs : cette main-d’œuvre qu’on libère est-elle capable d’aller travailler ailleurs ? C’est une question de substitution qui émerge. Quand il y a eu des délocalisations de l’industrie en France, la main-d’œuvre libérée a eu des difficultés à se reconvertir. Mais cela a été un phénomène progressif. Là avec l’IA, on assiste à un « saut quantique ». Du jour au lendemain, de nouvelles applications sont développées. De façon générale, l’IA va avoir un impact sur le design du marché du travail, y compris dans des métiers qualifiés. Par exemple, certaines fonctions comme celles des codeurs, des traducteurs sont potentiellement remplaçables par l'IA.
Quelles seront les conséquences différenciées sur la croissance et, par ricochet, sur la politique monétaire ? Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a insisté sur ce point : si le chômage augmente, les répercussions se feront sentir sur l’exécution de la politique monétaire, donc sur l’inflation.
Les questions de décarbonation de l'économie sont aussi entrées en jeu. Cela fait longtemps que les économistes produisent des résultats qui vont dans le même sens. La procrastination autour des questions du climat va avoir un coût très élevé et un impact très négatif sur la croissance. Il va falloir qu’on produise des biens et des services en émettant moins de CO2 qu’on ne le fait aujourd’hui.
Un autre sujet important a été celui de la montée en puissance de la Chine dans l’économie mondiale. On connaît sa puissance commerciale mais il y a eu des communications intéressantes et pertinentes sur une mutation à laquelle on assiste depuis une dizaine d’années. Avant, la Chine produisait des terres rares (métaux nécessaires aux batteries, smartphones…) et aujourd’hui, elle s’est positionnée sur d’autres pays qui ont des terres rares, qu’elle ne produit pas. Ceci afin de devenir un intermédiaire et d’acquérir un rôle stratégique beaucoup plus important, en Afrique et Asie du Sud-Est notamment.

Est-ce qu’il y a des sujets émergents, liés à des sujets d’actualité notamment ?

Oui, autour des droits de douane par exemple. Le sujet du crypto-mercantilisme a été discuté. C’est une stratégie de l’administration Trump qui souhaite asseoir la puissance monétaire des États-Unis en combinant droits de douane (qui protègent leur marché) et stablecoins ou crypto-actifs adossés au dollar (émis par de grands acteurs, notamment les GAFA**). Ces dollars privés circuleraient facilement via les plateformes et applications mobiles, diffusant l’usage du dollar à l’étranger par un autre canal que la monnaie publique classique. Cela pose un certain nombre de risques, le plus important étant la faillite de l’émetteur du stablecoin. Un dollar privé n’est pas un dollar public. La réponse de l’Europe a été détaillée, lors de la conférence, par la numérisation de l’euro par la Banque centrale européenne (BCE). Cette dernière va donc créer un crypto-euro qui sera public avec un niveau de garantie plus élevé. Mais il n’est pas encore certain que cela ait beaucoup de succès étant donné que les gens font plus appel à Facebook ou Amazon qu’à la BCE. La question récurrente en économie monétaire, c’est la concurrence entre les monnaies. Et la monnaie la plus simple d’usage s’impose. Pour l’instant, le dollar reste beaucoup plus simple à utiliser que l’euro.

Jean-Marc Figuet, directeur de Bordeaux Sciences Économiques @ BxSE
Jean-Marc Figuet, directeur de Bordeaux Sciences Économiques @ BxSE

La fin de la mondialisation ou la démondialisation est une autre thématique traitée lors de cet événement. Elle est également liée à la question des droits de douane instaurés par les États-Unis et à leur restauration, parce qu’il y en avait moins, voire plus du tout. Là Donald Trump a mis un coup de pied dans la fourmilière et oblige les autres pays à réagir. Une complexification de la circulation des produits et services va avoir tendance à provoquer une régionalisation de l’économie mondiale. Est-ce qu’on va vers des guerres commerciales qui entraîneront des guerres monétaires ? C’est un sujet qui a été abordé par Pierre-Olivier Gourinchas, chef économiste du Fonds monétaire international (FMI) qui observe de près l’évolution des flux.

Des blocs commerciaux vont s’affronter : Chine avec Russie d’un côté, États-Unis de l’autre, Europe au milieu… La taille du marché va diminuer. Si par exemple, je suis producteur de vin, hier j’exportais dans le monde entier et demain je ne pourrais exporter qu’en Europe. Cela réduit mes perspectives de profit. Aucun des blocs ne produisant l’intégralité des biens et des services, des stratégies devront se mettre en place et cela peut prendre du temps. L’indépendance française par exemple du principe actif du Doliprane, le paracétamol, se fait attendre malgré l’annonce présidentielle en 2020.

Est-ce plus difficile de travailler en économie à l’ère Trump ?

Même s’il ne s’en rend pas compte, lui-même crée de la recherche ! Entre la crise sanitaire liée à la Covid-19, la guerre en Ukraine, Donald Trump, la Chine et le réchauffement climatique, cela fait beaucoup de sujets d’exploration pour les économistes. L’enjeu est d’élaborer des stratégies pour optimiser les choix dans un contexte d’incertitude accrue.
Il est vrai qu’on ne s’attendait pas à une telle ampleur des droits de douane, notamment à Bordeaux, où les exportations de vin sont directement touchées. Le secteur viticole, déjà en crise, subit en plus des effets de substitution sur le marché américain, qui reste l’un de ses débouchés essentiels.

Comment s’inscrit le travail des économistes dans le débat politique et public ?

Les économistes ne sont pas censés faire de politique. Notre rôle est de fournir des clés de compréhension et des résultats, charge aux responsables politiques de s’en emparer. Nous travaillons aussi avec des hypothèses qui peuvent ne pas être partagées par la communauté.
En revanche, nous pouvons analyser des décisions publiques et, dans certains cas, anticiper leur inefficacité. Par exemple, annoncer des prix planchers en agriculture (lors de salon de l’agriculture 2024) sans connaître précisément les coûts de production est économiquement infondé. L’expérience montre que l’encadrement administratif des prix n’atteint pas les résultats escomptés, sans quoi la mesure serait déjà généralisée.
A contrario, concernant la dette française, qui suscite l’intérêt car la France est au cœur de la zone euro, les économistes ont une vision moins dramatique de la situation dès lors qu’elle est analysée dans un cadre comparatif. Il y a quelques années, l’Italie était annoncée comme la grande malade de l’Europe, aujourd’hui elle a une économie qui est performante.

Au vu de sujets brûlants tels que les droits de douane, l’économie avance-t-elle au rythme de l’actualité ?

L’économie n’est pas une discipline qui produit systématiquement des réponses immédiates, même si des thèmes très actuels ont été abordés lors de cette conférence de l’EEA, souvent en dialogue avec des approches plus théoriques.
Ce qui est important, ce sont les anticipations. Comment les gens voient le futur ? S’ils sont optimistes, ils consomment et investissent ; s’ils sont pessimistes, ils épargnent. C’est précisément le comportement des Français aujourd’hui. La conférence a mis en avant une réflexion passionnante sur la mesure fiable des anticipations pour éclairer la politique macroéconomique. Comment les économistes peuvent-ils prévoir l’imprévisible ? L’abondance de données ouvre de nouvelles perspectives : l’IA permet désormais de collecter, croiser et analyser ces données massives pour dégager des régularités de comportement

Quels bénéfices très concrets BxSE retire-t-il de cette édition, pour ses chercheurs et ses doctorants ?

Le programme de l’EEA 2025 a mis en avant une touche bordelaise avec une session spéciale dédiée à la question viticole, comme BxSE est membre de l’Institut des sciences de la vigne et du vin (ISVV). Les chercheurs bordelais travaillent autour de problématiques d’agro-écologie ou du rapport qualité/prix des vins. Plus largement, l’ensemble de nos axes de recherche ont trouvé un écho durant ces trois jours : innovation, développement, environnement, santé, évaluation des politiques publiques, économie internationale ou finance.
Grâce à cet événement, nous avons pu élargir notre réseau et lancé des invitations pour notre séminaire hebdomadaire. C’est l’occasion aussi pour les chercheurs, notamment les doctorants, de puiser ou tester de nouvelles idées méthodologiques (en économétrie, en science des données…). Cela va nous permettre de nourrir aussi notre réflexion pour la prochaine campagne de renouvellement de l’accréditation du laboratoire et nous aider à prioriser des thèmes qui montent tout en réactivant des sujets remis à l’agenda, comme les taux de change en période de tensions commerciales. Cela permet enfin d’accroître aussi la visibilité du laboratoire Bordeaux Sciences Économiques et également celle du campus bordelais.

*unité CNRS, INRAE et université de Bordeaux
** Google, Apple, Facebook, Amazon

Pour aller plus loin... « L’économie mondiale : guerre et paix »

Le laboratoire Bordeaux Sciences Économiques (BxSE) organise : "La grande conférence d'économie" sur le thème :  L'économie mondiale : guerre et paix le mardi 14 octobre 2025 à 19h à l'université (Campus Bordeaux-Victoire - amphi Durkheim). 

Cette table ronde est animée par les étudiants de CPGE du lycée Montaigne et de l’université de Bordeaux. 

Plus d'informations

Contacts

  • Jean-Marc Figuet

    Directeur de Bordeaux Sciences Économiques (BxSE)

    jean-marc.figuet%40u-bordeaux.fr

  • Delphine Charles

    Chargée de communication scientifique

    delphine.charles%40u-bordeaux.fr