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[Podcast] Fin de vie : panser les maux, penser la mort

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Le projet de légalisation d’une aide à mourir a amené à s’interroger, plus largement, sur l’accompagnement de la fin de vie. Entre réflexions bioéthiques, aspects juridiques et témoignages de proches et de soignants, les Rencards du savoir interrogeaient, le 4 juin dernier, les pratiques actuelles et futures.

Photo : Aujourd'hui en France, 50 % des patients qui devraient avoir accès aux soins palliatifs n’en bénéficient pas, explique la dr Pauline Monnier © Henjon Adobe Stock
Aujourd'hui en France, 50 % des patients qui devraient avoir accès aux soins palliatifs n’en bénéficient pas, explique la dr Pauline Monnier © Henjon Adobe Stock

Après une commission citoyenne, de multiples auditions et d’intenses débats, la légalisation en France de l’euthanasie et du suicide assisté semblait affaire de quelques mois.

C’était sans compter la dissolution de l’Assemblée nationale, mettant le chantier législatif en arrêt temporaire – voire définitif. Alors que certains s’en rassurent déjà, d’autres se désolent à l’idée d’attendre encore plusieurs années pour qu’un projet de loi similaire voie le jour. Reste que des situations de fin de vie difficiles auront gagné en visibilité et des mots auront été mis sur des impensés collectifs.

Le 4 juin 2024, à la bibliothèque Mériadeck à Bordeaux, un café-débat des Rencards du savoir revenait ainsi sur le projet de loi et le contexte international dans lequel il a pris place, tout en se penchant sur la prise en charge actuelle de la fin de vie.
Étaient invitées, pour en parler, Pauline Monnier, médecin responsable de l’équipe mobile de soins palliatifs l’Estey Mutualité qui intervient à domicile sur Bordeaux Métropole, Frédérique Drillaud, chercheuse en sciences de l’information et de la communication au laboratoire MICA* et anthropologue de formation, ainsi que Cécile Castaing et Marie Lamarche, toutes deux professeures de droit à l’université de Bordeaux – la première de droit public, la seconde de droit privé**.

Une longue histoire législative

L’actuel projet de loi « n’arrive pas ex nihilo, mais s’inscrit dans une évolution des droits des patients », rappelle tout d’abord Marie Lamarche. La juriste liste divers acquis successifs, telles les directives anticipées, mises en place en 2002 par la loi Kouchner puis supprimées par la suite avant d’être réintroduites en 2004. Ces directives permettent de faire part de ses dernières volontés quant aux soins prodigués en fin de vie.

Puis, en 2005, la loi Leonetti a notamment mis en place l’interdiction de l’obstination thérapeutique déraisonnable, c’est-à-dire le droit de refuser un traitement même si ce refus doit entraîner la mort. Et, plus récemment, la loi Cleys-Leonetti a introduit en 2016 la possibilité de demander, sous certaines conditions, « une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès ». Un acte à ne pas considérer toutefois comme une forme d’aide « passive » à mourir : il vise à soulager la douleur, et non à abréger la vie.

L’accompagnement actuel, trop méconnu

En parallèle de cette évolution de la législation s’est développée une discipline médicale dédiée spécifiquement à soulager les douleurs physiques comme psychiques : les soins palliatifs. Depuis 1999, y avoir accès en fin de vie est un droit. « L’objectif est de préserver la meilleure qualité de vie possible malgré la maladie grave », résume Pauline Monnier. Si ces soins occupent une place centrale dans la prise en charge de situations critiques et de maladies incurables, ils ont trop souvent été réduits dans les récents débats à une simple mise en opposition avec l’euthanasie. Signe qu’ils restent trop incompris ?

Frédérique Drillaud le reconnaît elle-même : avant d’en faire son terrain d’étude, elle partageait cette vision assez répandue d’un service palliatif aux allures de « mouroir ». Elle y a au contraire découvert un « véritable lieu de vie », raconte-t-elle, « où les soins peuvent être proposés précocement, où il ne se fait pas d’acharnement thérapeutique et où l’entourage est également accompagné ». Durant le café-débat, proches et médecins mettent également des mots sur le quotidien vécu par les patients en soins palliatifs, à l’hôpital comme à domicile.

Le récent projet de loi souhaite à la fois renforcer ces soins palliatifs - de façon suffisante ? La question est posée - et ajouter une nouvelle voie possible : l’aide à mourir. À l’étranger, plusieurs États ont déjà franchi le pas et légalisé le suicide assisté, voire l’euthanasie, mais avec des modalités différentes, en particulier sur les critères d’éligibilité. Comme l’explique Cécile Castaing, « il y a souvent un choix qui est fait entre le critère de la souffrance et celui du décès à brève échéance. Aux États-Unis, onze États ont légalisé le suicide assisté sur le critère d’un pronostic vital engagé à six mois. Le critère de la souffrance (réfractaire, insupportable…) n’y est pas considéré alors que dans la législation européenne (Pays-Bas, Luxembourg, Belgique, Espagne, Portugal) c’est ce dernier qui a été choisi ».

En France, le gouvernement a retenu les deux critères, mais celui du pronostic vital a été remplacé par les députés de la commission spéciale en une affection « en phase avancée ou terminale ». Un point qui fera sûrement couler encore beaucoup d’encre si le projet de loi est remis sur les rails.

Est-on prêts ?

Une intervention du public invite à dépasser la question d’être « pour » ou « contre » l’aide à mourir pour interroger le moment : les conditions sont-elles réunies aujourd’hui en France pour pouvoir la proposer ? Des doutes sont émis : « 50 % des patients qui devraient avoir accès aux soins palliatifs n’en bénéficient pas. Il faudrait que l’on puisse véritablement avoir le choix entre aide active à mourir et soins palliatifs, et non recourir à une aide à mourir parce qu’il n’y a pas de soins palliatifs », juge par exemple Pauline Monnier.

Dans l’écoute et le respect, le débat se poursuit et de nombreux autres aspects de la fin de vie sont questionnés : l’intérêt et les limites de désigner une personne de confiance, l’évolution des profils des demandeurs d’une aide à mourir à l’étranger ou encore l’articulation entre choix personnel et encadrement sociétal… Des échanges à (ré)écouter en podcast.

Par Yoann Frontout, journaliste scientifique et animateur des Rencards du savoir

*laboratoire Médiations, informations, communication, arts (MICA – université Bordeaux Montaigne)
**Cécile Castaing est rattachée à l'Institut Léon Duguit (ILD - université de Bordeaux) et Marie Lamarche au Centre européen du droit des familles, des assurances, des personnes et de la santé (CERFAPS - université de Bordeaux) 

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