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[Podcast] Écouter, lire, écrire pour soigner l'hôpital

Mise à jour le :

Encore peu connue en France, la médecine narrative commence pourtant à y prendre racine. Si elle vise d’abord à améliorer la relation de soin, elle esquisse aussi des voies pour régénérer un système de santé fragilisé. Le 16 novembre 2023, les Rencards du savoir proposaient de les explorer.

Photo : Les récits des soignantes ayant participé aux ateliers Hôpital Sensible, mis en voix par elles-mêmes avec l'accompagnement du metteur en scène Benoît Richter, lors de l'ouverture du festival FACTS 2023 © Gautier Dufau - université de Bordeaux
Les récits des soignantes ayant participé aux ateliers Hôpital Sensible, mis en voix par elles-mêmes avec l'accompagnement du metteur en scène Benoît Richter, lors de l'ouverture du festival FACTS 2023 © Gautier Dufau - université de Bordeaux

C’est à Bordeaux que la toute première chaire française de médecine narrative a été lancée le 16 novembre dernier. Intitulée « Médecine narrative – Hospitalité en santé », elle est portée par le CHU et l’université de Bordeaux et fait suite à un travail entamé il y a quelques années sur le campus bordelais. Depuis 2021, un diplôme universitaire dédié à la médecine narrative y est notamment proposé. Reste que la discipline est encore largement méconnue, et ne manque d’ailleurs pas d’intriguer : s’agit-il de soigner par les mots ? D’une forme d’art-thérapie ?

« Ni l’un, ni l’autre », répondait Isabelle Galichon lors d’un Rencard du savoir organisé à l’occasion de la signature de la chaire et du lancement du festival d’arts et sciences de l'université FACTS. Cette docteure en littérature à l'université Bordeaux Montaigne et spécialiste de la narrativité en santé était invitée à échanger autour du sujet au côté de Cynthia Fleury, psychanalyste, philosophe, et professeur titulaire de la chaire Humanités et Santé au Conservatoire national des arts et métiers, Eduardo Berti, écrivain, et Jean-Arthur Micoulaud Franchi, psychiatre, médecin du sommeil et professeur en neurophysiologie à l’université de Bordeaux, laboratoire Sommeil addiction et neuropsychiatrie (SANPSY). S’il ne s’agit pas de prescrire des mots pour guérir des maux, les invités ont montré combien replacer la langue et l’écriture au cœur du soin peut permettre de mieux répondre aux souffrances décrites par les patients comme les soignants.

Toutes et tous acteurs du soin

« La médecine a rapport à ce qui fait mal, rappelle en premier lieu le médecin Jean-Arthur Micoulaud Franchi. Cette expérience sensible de la douleur, et plus largement de la maladie, est verbalisée par chaque personne avec ses propres mots, son vécu. Le professionnel de santé, comme l’institution, doivent donc pouvoir accueillir cette parole. Or, ça ne s’improvise pas, ce n’est pas une compétence innée. » Cette aptitude était déjà mise en avant dans l’approche de la médecine attribuée à Hippocrate. Depuis les années 90, elle est revisitée avec de nouvelles méthodes et outils théoriques. Il s’agit de cultiver l’écoute, d'avoir une interprétation sensible du récit du patient, d’enrichir son lexique, notamment par la littérature, pour choisir des termes – voire des métaphores – adaptés. Comme l’explique Isabelle Galichon, ce changement de posture pris par le soignant se révèle également un pas en avant pour la démocratie en santé : en redonnant du poids à la parole du malade, ce dernier redevient acteur de ses soins.

Jean-Arthur Micoulaud Franchi et Isabelle Galichon encadrent tous deux la nouvelle chaire bordelaise, via laquelle ils souhaitent travailler tant en terrain universitaire, pour former le corps médical, qu’en terrain hospitalier, pour proposer des ateliers destinés aux soignants, aux patients comme aux aidants. À travers le projet Hôpital sensible, dans le cadre du festival FACTS, ils ont pu s’associer à un artiste pour développer une approche originale.

Ateliers d’écriture in situ

Eduardo Berti, écrivain argentin membre du mouvement littéraire Oulipo, n’en est pas à son coup d’essai. D’une résidence dans le service des soins palliatifs du CHU de Rouen, il en avait tiré Une présence idéale, recueil de micro-récits nourris de ses échanges avec le personnel. Au CHU de Bordeaux, ce sont cette fois une dizaine de soignantes de tous horizons confondus qui ont participé à des ateliers d'écriture mensuels. Comme il l’explique, il s’agit d’y conter ses premiers jours de travail, d’imaginer son hôpital idéal, d’évoquer un patient marquant… « Il y a le moment d'écriture, mais aussi le moment de lecture et d'écoute, avec le retour des autres participantes, détaille-t-il. Et l’écrivain souligne combien dans cet exercice introspectif « chercher le mot juste » se révèle être alors « un défi passionnant » puisque « derrière l'aspect littéraire, c'est s'interroger sur son métier ».

Une douce utopie ?

Si l’importance de valoriser la parole du patient fait consensus, la mise en place d’un temps et d’un lieu d’écoute via les outils de la médecine narrative questionne. Dans un hôpital épuisé, fonctionnant à flux tendu, peut-on demander aux praticiens d’en faire plus ? Isabelle Galichon cite une étude* dont le dispositif a été reproduit plusieurs fois : lors d’une consultation, les patients étaient interrompus en moyenne au bout de 18 secondes, alors qu’il ne leur aurait fallu pas plus de deux minutes pour terminer leur récit… Or, comme le rappelle Cynthia Fleury, c’est dans une certaine « éthique narrative » que va se construire « la base de l’alliance thérapeutique » : un rapport de confiance crucial pour éviter des situations de contournement ou d’évitement du soin.

« Le problème n’est peut-être pas pris par le bon bout, juge ainsi Isabelle Galichon, si on a un modèle managérial dans lequel le soignant manque de temps, il ne faut pas baisser les bras : c’est au contraire là que de tels outils et méthodologies deviennent indispensables. » Qui plus est, par l’écoute réciproque des histoires de chacun, un récit collectif se forme. Cynthia Fleury souligne ainsi que l’atelier d’écriture initialement dédié au burn-out des soignants du GHU Paris Psychiatrie & Neurosciences est devenu « un outil d’éthique institutionnelle » puisqu’il s’y constitue « un plaidoyer pour faire autrement ».

À travers les expériences menées à Bordeaux, à Paris ou même au Congo, la médecine narrative se dévoile dans le podcast du café-débat et laisse entrevoir un système de soin plus humaniste.


Par Yoann Frontout, journaliste scientifique et animateur des Rencards du savoir

*Beckman HB, Frankel RM. The effect of physician behavior on the collection of data. Ann Intern Med. nov 1984;101(5):692‐6.

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