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L’eau à Bordeaux : un jour la panne sèche ?

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Le changement climatique amène à repenser nos usages actuels de l’eau, notamment notre consommation en eau potable. Le Rencard du savoir du 13 juin dernier proposait de se pencher plus particulièrement sur celle des Bordelais. Quelles ressources, quels enjeux et quelles stratégies d’adaptations ?

Photo : 'Derrière le robinet que l'on ouvre et que l'on ferme sans trop y penser se cache une énorme infrastructure (...) ' Denis Salles, chercheur INRAE @ pixabay
"Derrière le robinet que l'on ouvre et que l'on ferme sans trop y penser se cache une énorme infrastructure (...) " Denis Salles, chercheur INRAE @ pixabay

Dans la Vienne, des restrictions d’usages de l’eau sont déjà en cours. Depuis le 14 juin, plus question pour les Poitevins de remplir leur piscine, arroser leur potager entre 11h et 18h ou nettoyer leur voiture à domicile. Du côté de l’agglomération du Grand Guéret, dix-neuf maires ont pris des mesures semblables. Objectif principal : éviter le scénario du pire, celui où l'eau ne coule plus au robinet.

Un risque qui devient de plus en plus grand avec le changement climatique, comme le souligne un rapport ministériel publié en avril dernier. Durant l’été 2022, plus d’un millier de communes ont dû ainsi prendre des mesures exceptionnelles pour approvisionner leurs habitants (camions-citernes, distributions de bouteilles…).
Et si aucune grande ville n’a été concernée, il est précisé que « certaines n’en sont pas passées loin »1.

Qu’en est-il sur la métropole bordelaise ? Et quelles stratégies face au manque à venir, en Gironde comme ailleurs ? Le 13 juin, au Musée d’Aquitaine, un café-débat des Rencards du savoir réunissait, autour de ces questions, Françoise Goulard, directrice de la recherche, de l'innovation et de la transition écologique à la Régie de l'Eau de Bordeaux Métropole, Sandrine Vaucelle, géographe de l'aménagement et des espaces urbains au laboratoire Passages (unité CNRS, ENSAP Bordeaux, université Bordeaux Montaigne & université de Bordeaux) ainsi que Denis Salles, directeur de recherche INRAE en sociologie.

Mettre en lumière l’invisible

« Derrière le robinet que l’on ouvre et que l’on ferme sans trop y penser se cache une énorme infrastructure, invisible pour nous, tout comme les réserves souterraines qui viennent l’alimenter », rappelle tout d’abord Denis Salles. À l’échelle nationale, c’est près d’un million de kilomètres de tuyaux (25 fois la circonférence de la Terre) qui permettent de desservir l’ensemble des ménages depuis les années 80. En amont de ces réseaux, les captages se révèlent, sur la métropole bordelaise, relativement atypiques. « La majorité de notre eau potable vient de nappes dites profondes, allant jusqu’à 600 mètres de profondeur, et non pas de nappes phréatiques plus proches de la surface et associées aux rivières », explique ainsi Françoise Goulard.

Comme le détaille Sandrine Vaucelle, c’est en cherchant du pétrole dans le bassin sédimentaire girondin qu’au milieu du XXe siècle a été mis au jour cette eau en quantité et de très bonne qualité.
« Elle s’est infiltrée au niveau du Massif central il y a entre dix et vingt mille ans puis, lentement, est venue jusque sous nos pieds, à raison d’1 cm par an environ », explique-t-elle. Ces réservoirs se rechargent tout aussi lentement qu’ils se sont formés : qui dit ressource finie dit risque de pénurie ?

« Si tous les 800 000 métropolitains passaient une minute de moins sous la douche par jour, ce seraient entre 2 et 3 milliards de litres économisés, soit l’équivalent de mille piscines olympiques. »

Françoise Goulard de la Régie de l'Eau de Bordeaux Métropole

Sous nos pieds, un trésor à préserver

Françoise Goulard se veut rassurante : « Cet ensemble de nappes est tellement immense que, même à l’échelle d’un siècle, il ne risque pas de se tarir. En revanche, il y a par endroits de la surexploitation et le niveau peut localement baisser de façon importante. » C’est la raison pour laquelle a été mis en place, à la fin des années 90, le Syndicat mixte d'étude et de gestion de la ressource en eau du département de la Gironde (SMEGREG), « une infrastructure permettant la gestion commune des quatre nappes souterraines et qui a porté ses fruits », estime Sandrine Vaucelle.

Il a notamment été décidé de limiter la pression exercée sur la nappe de l’Éocène en pompant plus dans celle de l’Oligocène, via le projet encore contesté de champ captant des Landes du Médoc.
Une solution de substitution, et non d’augmentation de la ressource utilisable : les prélèvements dans l’Éocène doivent ainsi passer de 27 millions de m3 à 15 millions. Avec une population sur la métropole bordelaise qui ne cesse d’augmenter, le défi reste grand2.

Moins gâcher : par où commencer ?

Pour diminuer les prélèvements, à Bordeaux comme partout en France, il faut faire preuve de sobriété. Mais entre responsabilité individuelle et collective, quelles actions privilégier ? Françoise Goulard rappelle que de petits gestes peuvent avoir un impact significatif : « si tous les 800 000 métropolitains passaient une minute de moins sous la douche par jour, ce seraient entre 2 et 3 milliards de litres économisés, soit l’équivalent de mille piscines olympiques. » De son côté, Denis Salles met en avant le besoin d’opérer des changements structurels. Il rappelle notamment que 20 % de l’eau potable utilisée dans un foyer part dans les toilettes. Or, comme l’ont démontré les expérimentations de toilettes sèches menées par la Fumainerie à Bordeaux ou des projets de réutilisation des eaux grises (douches, lavabos…) pour les sanitaires, il y a encore de nombreux freins pour déployer ces solutions à grande échelle. Les obstacles se révèlent moins techniques qu’économiques, administratifs, réglementaires et… psychologiques, dans une société marquée par un passé hygiéniste.
Du prix de l’eau à la gestion des fuites, en passant par la récupération d’eau de pluie, les solutions à déployer ont été vivement discutées. Des échanges à (re)découvrir en podcast.

Par Yoann Frontout, journaliste scientifique et animateur des Rencards du savoir

1 : Rapport interministériel « Retour d’expérience sur la gestion de l’eau lors de la sécheresse 2022 » (mars 2023)
2 : Le rapport d’observations définitives sur le SMEGREG, réalisé par la chambre régionale des comptes de Nouvelle-Aquitaine et publié en février dernier, souligne notamment que les efforts de limitation des prélèvements restent insuffisants.

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