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De l'énergie à revendre

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L’intitulé de son poste en laisse plus d’un perplexe au sein de l’université : Mathieu Farges est energy manager. Dans une institution qui emploie plus de 6000 personnes, ils ne sont que trois à exercer cette fonction.

Photo : Mathieu Farges est energy manager, un nouveau métier à l'université de Bordeaux © Gautier Dufau
Mathieu Farges est energy manager, un nouveau métier à l'université de Bordeaux © Gautier Dufau

Mathieu Farges a beau être fraîchement arrivé à l’université, en avril 2023, il semble, quelques mois plus tard, en avoir déjà compris la plupart des rouages. Sans doute son cerveau d’ingénieur, formé à l’école des Mines d’Albi, rompu au déchiffrage de systèmes complexes. Mais sa curiosité naturelle a dû également l’aider : on sent vite que tout l’intéresse et que son rôle, tout nouveau au sein de l’université, lui tient vraiment à cœur. «Je suis un enfant de la COP de Copenhague, dont j’ai suivi les débats quand j’étais au lycée, découvrant les enjeux du changement climatique. Quand j’ai commencé à envisager des études d’ingénieur, ce n’était pas pour fabriquer de nouveaux téléphones, mais pour sauver le monde !» 

Prendre soin des bâtiments

Si ses premiers emplois comme spécialiste de l’efficacité énergétique au sein de différents bureaux d’études n’ont pas émoussé sa motivation, le rôle de « prestataire » ne lui convenait pas : «Je me sentais comme un mercenaire, sans possibilité de suivre les choses sur le long terme. Je l’ai compris quand je suis retourné dans un bâtiment, un an après une première visite, et que j’ai eu l’impression de retrouver un vieil ami. J’ai su alors que j’avais besoin de ça, d’avoir mon propre parc et d’en prendre soin.» L’université s’est avérée le bon point de chute pour cet ancien scout, attaché au principe de «toujours laisser un endroit aussi propre qu’on l’a trouvé en arrivant». Et un passionné de psychologie qui a entrevu, dans le cadre universitaire, la possibilité de travailler de concert avec des chercheurs et des étudiants.

Rattaché au Pôle patrimoine et environnement, au sein du Service performance environnementale de la Direction de l’immobilier, Mathieu a été recruté en même temps que deux homologues pour suivre le comportement énergétique des bâtiments universitaires, traquer les surconsommations, dérives et autres anomalies afin de proposer des actions correctives aux services concernés. Une sorte d’audit permanent de la centaine de bâtiments compris dans son périmètre - ses deux collègues en ont tout autant. Mathieu s’estime chanceux : «Avec mon vélo, je peux me rendre un peu partout entre Pessac, Talence et Gradignan ; c’est plus compliqué pour mon collègue Sileymane qui se déplace jusqu’à Agen ou Mont-de-Marsan.» Sa mission semble sans fin, mais Mathieu l’aborde avec rigueur et détermination. Son œil est entraîné à détecter les gaspillages énergétiques partout où il se rend. L’enjeu : qualifier l’anomalie de la façon la plus claire et concise possible, préconiser une action précise pour y remédier, et trouver la bonne personne à qui transmettre ces informations.

Photo d'un panneau avertissant du danger électrique présent dans un local technique de l'université
Les energy managers connaissent comme leur poche les "coulisses" et les consignes de sécurité de l' © université de Bordeaux

Locaux techniques, labos et amphithéâtres

Son quotidien l’entraîne aussi bien dans les entrailles de l’université, le long de couloirs bruts de décoffrage ou au fin fond de locaux techniques peu accueillants, que dans les salles de cours, les labos de recherche ou sur le toit des bâtiments. Dans ses poches, des trousseaux de clés, des plans, son téléphone avec lequel il prend des photos qu’il annote soigneusement pour faciliter la tâche de celui ou celle qui prendra le relais au sein de la Direction de l’immobilier ou de la Direction des services aux occupants. Mathieu doit penser large, au-delà des travaux liés à la performance énergétique : «Si un local technique est mal éclairé, ou si les plans d’un bâtiment ne sont pas à jour, cela va compliquer toute la maintenance nécessaire sur le site. La performance d’un bâtiment dépend surtout de son exploitation au quotidien, alors je veille à tous ces détails, autant que possible.»

Mais le métier d’energy manager ne consiste pas seulement à scruter des dysfonctionnements, établir des prescriptions, relever des compteurs, loin de là. Dans sa fiche de poste, Mathieu a aussi pour mission de «réaliser des actions de sensibilisation, de communication et de conseil auprès des usagers.» Par conséquent, il sillonne régulièrement le campus à la rencontre des personnels administratifs et des enseignants-chercheurs, pour expliquer à ces équipes disparates les comportements propres à réduire l’empreinte carbone de l’université. C’est là que son intérêt pour la psychologie lui rend service, guidant son action dans un temps restreint et sur un périmètre étendu : «Les personnes réfractaires au changement ne seront pas convaincues par davantage d’information, donc je vais voir en priorité les équipes qui sont volontaires et qui s’intéressent vraiment aux économies d’énergie. Tout le monde peut me contacter !»

Expliquer et convaincre

Sur le terrain, ses alliés sont les référents transitions de l’université. Un réseau d’une soixantaine de professionnels qui connaissent parfaitement leur bâtiment, leur labo, leurs collègues, et qui savent comment parler à ces derniers. «Les messages sont mieux perçus s’ils sont déployés par des pairs, explique Mathieu, bien mieux que s’ils viennent d’en haut ou d’ailleurs.» Grâce à ce «réseautage», Mathieu s’imprègne des usages et des codes de chaque milieu, puis s’incruste dans des réunions ou des séminaires au cours desquels il diffuse ses messages de sensibilisation. Il le fait avec sérieux et humour, convaincu qu’une bonne «private joke» peut faire mouche, souvent bien plus qu’un long argumentaire.

Pour motiver les troupes, le Service performance environnementale s’appuie également sur le concours Cube, un concours national qui récompense les utilisateurs de bâtiments tertiaires parvenant à réduire leur consommation d’énergie. Six bâtiments de l’université sont impliqués cette année : l’Institut Evering à Mérignac, l’Institut européen de chimie et de biologie à Pessac, l’Institut des sciences de la vigne et du vin à Villenave d’Ornon, l’IUT à Gradignan, le Centre Broca Nouvelle-Aquitaine et le Pôle juridique et judiciaire à Bordeaux. Mathieu organise des visites de chacun de ces lieux pour établir avec leurs usagers les éco-gestes qui peuvent s’avérer déterminants. Il mène aussi un projet avec des étudiants de l’ENSC, l’École nationale supérieure de cognitique de Talence, pour imaginer avec eux les «nudges» - incitations subtiles qui peuvent prendre différentes formes - susceptibles d’encourager aux éco-gestes.

Les messages sur la sobriété énergétique sont mieux perçus s’ils sont déployés par des pairs, bien mieux que s’ils viennent d’en haut ou d’ailleurs.

Mathieu Farges, energy manager

Conteur d’énergie

Car Mathieu en est certain, « dans la transition environnementale, on a autant besoin de sociologues et de psychologues que d’ingénieurs ». Il ne suffit pas d’établir un diagnostic scrupuleux des usages et des consommations : sans la complicité, voire la sympathie, des utilisateurs, aucune démarche ne peut aboutir. Quant aux bonnes pratiques, encore faut-il qu’elles reposent sur un environnement favorable. L’université est une énorme machine dont la maintenance est ardue, malgré des équipes compétentes et dévouées. Les demandes d’intervention sur le chauffage ou la ventilation prennent parfois du temps à aboutir et Mathieu se le voit reprocher sur le terrain, bien qu’il n’y soit pour rien. Il prend alors le temps d’expliquer les process aux uns, de faire remonter l’information aux autres. Récemment, il a reçu le devis d’un fournisseur pour des « conteurs d’énergie ». La faute d’orthographe l’a fait sourire. Il s’est dit que cet intitulé conviendrait bien à son métier en devenir.

Le programme ACT

Le projet "efficience énergétique" porté par le Pôle patrimoine et environnement de l'université de Bordeaux relève du programme ACT financé par l'Agence Nationale de la Recherche.

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Thierry Decadt, directeur de l'immobilier à l'université de Bordeaux

« Le recrutement de Mathieu illustre parfaitement l’accélération souhaitée par l'établissement sur la transition énergétique. La direction de l'immobilier a renforcé son Service performance environnementale avec plusieurs profils complémentaires tels que les energy managers et une data analyste. L'ensemble du service piloté par Timothée Aubursin est entièrement mobilisé sur la mise en œuvre de la stratégie du "consommer moins, consommer mieux" développée et portée par la Direction de l'immobilier. Je mesure depuis 2015 les résultats significatifs obtenus sur ces deux axes et me félicite de l'engagement au quotidien de ces nouveaux collaborateurs très précieux. »

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Direction de l'immobilier

  • Timothée Aubursin

    Chef du Service performance environnementale

    06 19 14 29 77

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