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Mise à jour le : 09/04/2024
La professeure franco-suédoise, prix Nobel de physique 2023, a été accueillie à l’université de Bordeaux pour la cérémonie de remise d’insignes du titre de Docteur Honoris Causa. Une cérémonie inspirante et inspirée à tous points de vue.
« Inspiration : enthousiasme, souffle créateur qui anime l'artiste, le chercheur » selon la définition du Larousse. Et c’est bien ce souffle qui a traversé l’auditorium de l’Agora au Haut-Carré à Talence, le jeudi 28 mars dernier, lors de la cérémonie de remise des insignes du doctorat Honoris Causa à la professeure Anne L’Huillier, prix Nobel de physique 2023. Une salle qui, comme cela l’a été rappelé lors de l’événement, peut accueillir tour à tour colloques scientifiques et spectacles divers comme ce fut le cas lors de la cérémonie (à revoir en vidéo) entre prises de parole et intermèdes musicales du quatuor vocal Le Plisson.
Source d’inspiration, c’est l’expression revenue souvent en préambule. Par Dean Lewis, président de l’université, qui a tenu à souligner, outre les qualités scientifiques d’Anne L’Huillier, le fait que mettre à l’honneur celle qui est la 2e française et la 5e femme à recevoir le Nobel de physique « montre aux jeunes filles et aux jeunes chercheures que le champ des possibles est bien plus vaste qu’elles ne l’imaginent ». L’obtention d’un Nobel donne effectivement un changement de métier et de statut complet, a aussi rappelé lors de l’éloge académique Philippe Balcou, directeur de recherche au CNRS et membre du Centre lasers intenses et applications (CELIA - unité CEA, CNRS et université de Bordeaux), et « fait passer de l’état de collègue emblématique d’un domaine à celui de modèle scientifique et source d’inspiration pour nos jeunes générations ».
Inspirante pour les futurs scientifiques mais pas seulement. Éric Mével, professeur de physique à l'université de Bordeaux, directeur du CELIA, a souligné que « ce talent pour la transmission du savoir, [son] attention et [sa] bienveillance ont également porté leurs fruits pour le grand nombre de stagiaires, doctorants et postdoctorants […] car nombreux sont ceux qui mènent une carrière scientifique et académique » à l’université de Lund, où exerce Anne L’Huillier depuis près de 30 ans, mais aussi aux États-Unis, en Europe et notamment à Bordeaux. Le CELIA compte, en effet, pas moins de trois de ses anciens étudiants, dont deux anciens postdoctorants, Éric Mével et Dominique Descamps et son premier doctorant, Philippe Balcou. Avec ses dix chercheurs permanents sur la thématique de la physique attoseconde, domaine dont la chercheuse franco-suédoise est l’une des pionnières, le laboratoire bordelais est le plus important sur cette thématique en France.
Inspiration et intuition ensuite. Ce sont là les qualités premières d’Anne L’Huillier mises à l’honneur par Philippe Balcou qui – non sans une certaine émotion – a tenu à nouveau « à faire souffrir la modestie » de sa discrète directrice de thèse lors de son éloge. Modestie mise à mal depuis le 3 octobre dernier depuis l’annonce du prix Nobel à la chercheuse, co-lauréate aux côtés du Français Pierre Agostini et du Hongrois Ferenc Krausz. Le chercheur du CELIA explique qu’on se fait généralement une fausse idée de l’intuition du chercheur et de l’inspiration du compositeur, les deux viennent non d’un simple génie – même s’il peut être présent - mais aussi et surtout d’un travail acharné, d’une rigueur scientifique. Il loue chez Anne L’Huillier son intuition de jeune chercheuse, sa ténacité à pousser un sujet scientifique « contre vents et marées » même s’il y avait peu de résultats les premières années. Et aussi sa sérendipité, c'est à dire sa capacité à percevoir l'intérêt et à explorer la première une découverte scientifique inattendue, qui finit par déboucher sur un nouveau domaine : la physique de l’attoseconde, du milliardième du milliardième de seconde, domaine auquel elle a contribué par plus de 240 publications scientifiques. Elle-même a utilisé l’analogie de la musique pour préciser sa découverte des harmoniques d’ordres élevé à l’origine de son prix Nobel. Tout comme un archet sur les cordes d’un violon crée des harmoniques, une impulsion laser à haute puissance contre un gaz crée des harmoniques d’ordre élevé, qui interfèrent entre elles et créent des impulsions de lumière attosecondes.
Inspirée par ses pères et ses pairs. C’est ce qu’a expliqué avoir été Anne L’Huiller lors de son discours d’acceptation. Par ce grand-père Lucien Chrétien, ingénieur en radio électricité et enseignant, qui a soutenu la Résistance lors de la seconde Guerre Mondiale avec la communication par radio. Elle raconte avoir été fascinée et impressionnée, enfant, qu’il ait pu le faire « par la technique et par la science ». Par son père aussi, Bernard L’Huillier, informaticien qui a aidé à monter le centre de calcul du CNES. Et par de grands physiciens enfin, notamment ceux nobélisés avant elle, Claude Cohen-Tannoudji et Serge Haroche, à la fois dans sa recherche et mais aussi dans sa façon d’enseigner avec le sens de la pédagogie et une rigueur mathématique.
Inspirée… Anne L’Huillier l’a été par l’exercice – parfois très institutionnel voire conventionnel – d’un discours d’acceptation du titre de docteur honoris causa. Une cérémonie qui a pu résonner au son d’Abba, en l’honneur évidemment du pays d’adoption de la chercheuse, était déjà peu ordinaire. Non sans une certaine malice et avec la rigueur scientifique qui la caractérise, la professeure de physique a tenté de répondre, pour le plus grand plaisir de l’assistance fournie dans l’Agora, au théorème suivant qu’elle a maintes fois observé. Pourquoi « un Français de la France du Nord qui passe par l’université de Lund finit sa carrière à Bordeaux » ? La température, la qualité de la nourriture et du vin ont été des pistes abordées, parfois adoubées par certains membres du public directement concernés.
Inspirée enfin, Anne L’Huillier, par les questions de deux des nombreux étudiants mais aussi étudiantes présentes à l’Agora. Celle d’Hervé, en 2e année de licence, qui se demande comment faire un choix entre un parcours en physique théorique ou en physique expérimentale. Philippe Balcou avait déjà ébauché une réponse à cette question en évoquant le fait que sa directrice de thèse était une expérimentatrice qui n’hésitait pas « à plonger la tête la première dans les théories les plus profondes ». Elle-même énonce : « J’ai toujours eu la volonté de comprendre ce qu’on voyait de façon théorique ». Se référant à nouveau à Claude Cohen-Tannoudji et Serge Haroche, la chercheuse suédoise a expliqué qu’elle était finalement contre cette division prônée dans les pays du nord et anglo-saxons. « Il y a une seule physique », philosophie qu’elle tente d’inculquer à ses étudiants. Julien, ancien doctorant du CELIA et aujourd’hui chercheur au CEA, lui a demandé si elle se rappelait du moment de ses découvertes et de leur caractère exceptionnel. Anne L’Huillier explique alors se souvenir « comme si c’était hier de la première expérience où on a vu cette génération d’harmoniques d’ordre élevé » avec un système expérimental presque archaïque et un crayon relié à une imprimante qui dessinait les harmoniques les unes derrière les autres mime-t-elle de ses mains. « C’était complètement fascinant et inattendu ! » Elle précise n’avoir pas du tout pensé que cette découverte irait jusqu’à un prix Nobel. Il fallait juste tenter de comprendre le phénomène, de le continuer et l’améliorer à ce moment-là dans une démarche de scientifique. Un crédo qu’elle a suivi tout au long de sa carrière.
Chargée de communication scientifique
delphine.charles%40u-bordeaux.fr