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6G… Les chercheurs bordelais répondent à l’appel

Mise à jour le :

Alors que la 5G est toujours en cours de déploiement, des chercheurs bordelais en électronique anticipent déjà l’arrivée de la 6G. En combinant mathématiques et intelligence artificielle, ils conçoivent des puces électroniques capables d’ouvrir la voie aux communications ultra-rapides de demain. Ce défi est au cœur d’un projet européen appelé HERMES.

Photo : François Rivet, avec un wafer de puces électroniques entre les mains, est le coordinateur du projet européen HERMES consacré à la 6G © Gautier Dufau
François Rivet, avec un wafer de puces électroniques entre les mains, est le coordinateur du projet européen HERMES consacré à la 6G © Gautier Dufau

Allô ?! Votre téléphone portable est connecté en 5G ? Non, pas encore ? Parce que la 6G pointe déjà le bout de son réseau. En effet, « quand une génération de téléphonie mobile devient accessible à tous, la future est déjà dans les cartons » indique François Rivet, spécialiste en électronique au laboratoire de l'Intégration du matériau au système (IMS)1. Et ce futur, l’enseignant-chercheur de Bordeaux INP travaille déjà dessus depuis quelques années dans le cadre du projet HERMES2 porté par l’université de Bordeaux et financé par le Conseil européen de l’innovation (EIC). Avec ses collègues enseignants-chercheurs de Bordeaux INP, Yann Deval, Nathalie Deltimple et Éric Kerhervé ainsi que Hervé Lapuyade de l’université, il « contribue à proposer des solutions pour les puces électroniques des téléphones portables. On essaie d’inventer les architectures de demain ». Vous avez peut-être même dans votre téléphone une puce inspirée des travaux de l’IMS ! Mais pourquoi la 6G alors que la 5G est toujours en cours de déploiement ? Tout simplement parce que nos usages numériques explosent. « Le volume d’échanges des communications augmente continuellement et exponentiellement. Tout le monde souhaite partager toujours plus, des images mais surtout de la vidéo ». En 2024, on estime à plus de 2000 milliards le nombre de photos échangées en communication sans fil3. Les capacités du réseau en 6G seront de 10 à 100 fois plus performantes, à la fois en termes de rapidité, de volume de données échangées et de temps de latence, explique le scientifique.

Un océan d’ondes : comprendre le spectre des communications

Au-delà de l’envoi des images et vidéos ou des jeux vidéo en ligne, c’est la coopération entre véhicules autonomes ou entre robots sans intervention humaine voire l’apparition d’un hologramme de votre interlocuteur depuis votre smartphone qui pourraient être rendues possibles. La science-fiction devenue réalité !
Comment y parvenir ? Imaginez tout d’abord que nous vivons dans un océan invisible d’ondes électromagnétiques, où chaque type d’onde navigue selon ses propres règles. Autrefois, les longues ondes radio de 150 à 300 kilohertz - retenez surtout l’ordre de grandeur - avançaient lentement mais couvraient de vastes distances, comme de grands voiliers transportant peu de données. Puis, la radio FM (87,5 à 108 mégahertz) et la télévision dite analogique ont marqué une nouvelle étape, avec des ondes plus courtes et dynamiques, comparables à des navires capables d’acheminer davantage d’informations, avec un son plus clair et une meilleure qualité d’image. Aujourd’hui, nos téléphones fonctionnent avec des ondes encore plus courtes, tels des hors-bords ultra-performants. La 4G (700 MHz à 2,6 gigahertz) et la 5G (jusqu’à 28 gigahertz) permettent des vitesses spectaculaires, mais nécessitent un réseau important d’antennes pour compenser leur faible portée.

François Rivet est spécialiste d'électronique au sein de laboratoire de l'Intégration du matériau au système (IMS) © Gautier Dufau

Il fallait réinventer l’électronique de communication.  C’est un véritable challenge intellectuel qui fait qu’on ne s’ennuie jamais en tant que chercheur. 

François Rivet, coordinateur du projet HERMES

« Ce spectre de fréquences radio de 3kHz à 300 GHz est une ressource qu’on utilise tous mais avec certaines règles pour bien s’entendre et se comprendre » précise François Rivet. Il existe des agences internationales qui régulent et supervisent ce spectre. Comme une police maritime, l'Union internationale des télécommunications (UIT) attribue les bandes de fréquences aux différents usages : radio, télévision, téléphonie, Wi-Fi, Bluetooth jusqu’au radar de la voiture…
Avec la 6G, on entre dans l’ère des jets supersoniques : des ondes ultracourtes, dépassant 100 GHz. Elles transporteront instantanément une grande quantité d’informations, mais seront encore plus sensibles aux obstacles, nécessitant de nouveau une infrastructure dense de petites antennes. Ce last mile, la communication des derniers mètres entre le téléphone et l’antenne est précisément le point sur lequel travaillent les chercheurs à l’IMS dans ce projet de recherche. Ils sont spécialistes des puces électroniques qui gèrent les signaux radios de chaque objet connecté qu’on appelle RFIC (Radio Frequency Integrated Circuit, soit circuit intégré radiofréquence). Il y a quelques années, le Graal était de créer une puce unique gérant tous les signaux radio comme le Wi-Fi, le Bluetooth et la téléphonie.

Des puces électroniques plus puissantes mais moins énergivores

Aujourd’hui, on conçoit des puces spécifiques pour chaque réseau, souligne François Rivet. Avec la 6G, l’objectif est de concevoir des circuits radiofréquences aussi compacts que ceux d’aujourd’hui (quelques millimètres), tout en augmentant leurs performances et en réduisant leur consommation énergétique. « Si on imagine que des puces seront présentes dans 10 milliards d’appareils, et qu’on arrive à diviser par 10 leur consommation, cela peut avoir un réel impact environnemental mondial ». Durant les trente dernières années, une course à la miniaturisation a eu lieu dans le monde de l’électronique pour mettre le maximum de composants sur le moins d’espace possible.

Les chiffres d’aujourd’hui étaient inimaginables hier : il est possible d’intégrer jusqu’à 1 milliard de transistors (un composant électronique) sur une puce de quelques millimètres carrés. « C’est tellement énorme, indique le chercheur, que la puissance de calcul de cette puce est comparable à celle du cerveau d’une souris ». Mais difficile d’en ajouter davantage. Pour passer d’une génération de téléphonie à une autre, certains ont assemblé des puces entre elles pour augmenter les performances, mais cela augmente la consommation énergétique.
Le défi est donc de créer une puce plus performante, utilisant plus de spectre (à 100 gigahertz pour la 6G), fiable (un véhicule autonome laisse peu de place à l’erreur), toujours compacte, qui consomme moins et qui soit aussi moins chère. « Il fallait réinventer l’électronique de communication, constate le scientifique, et c’est un véritable challenge intellectuel qui fait qu’on ne s’ennuie jamais en tant que chercheur. »

Un circuit intégré relié à l'extérieur par des fils d'or (wire bonding) © IMS
Un circuit intégré relié à l'extérieur par des fils d'or (wire bonding) © IMS

Pour arriver à la 5G et au-delà, les chercheurs de l’IMS ont tout d’abord changé de paradigme en électronique en concevant une puce qui est passée d’une dimension temporelle à une dimension fréquentielle. Lorsque vous envoyez une information quelle qu’elle soit (image, son, vidéo…) via un téléphone portable, celle-ci est enregistrée de façon numérique (codée en 0 et 1) sur votre appareil. Mais elle ne peut voyager directement dans l’air, elle doit être convertie via une puce électronique en une forme, compatible avec les ondes radio, dite analogique puis captée par la puce réceptrice de l’autre téléphone et reconvertie pour être vue, lue, entendue… par votre interlocuteur. Une sorte de morse, quoi ! Passer du temporel au fréquentiel, c’est comme lire un texte en entier versus en extraire et conserver seulement les mots-clés. Comme il y a moins de mots (ou d’informations) à convertir en analogique, il y a moins de consommation d’énergie. Facile, non ? Ce sont des mathématiques développées par Joseph Walsh (dans les années 1970) qui ont permis aux scientifiques bordelais de réaliser ce défi. Et pour l’anecdote, François Rivet explique avoir utilisé la transformée dite de Walsh du chercheur américain qui s’est lui-même inspiré des travaux d’un autre mathématicien français, Jacques Hadamard, maître de conférences à l’université de Bordeaux entre 1893 et 1897. La boucle bordelaise est bouclée !

Un projet européen pour une innovation de rupture

Mais il faut aller encore plus loin pour la 6G et le chercheur de l’IMS a l’intuition dès 2020 que c’est l’IA qui pourra les aider. Profitant du temps imposé par les confinements de la Covid, il prend le temps de se poser pour écrire un projet de recherche dans le cadre de l’appel à projet FET Open du Conseil européen de l'innovation (EIC). Ce programme soutient des recherches à haut risque et à fort potentiel visant des technologies de rupture. Le scientifique bordelais collabore alors avec des chercheurs français du CEA et des équipes en Belgique, Grèce, Lituanie et Autriche pour monter ce projet européen. « J’ai vraiment été appuyé par le dispositif mis en place par le Service de montage et suivi de projets (SMSP) de l’université de Bordeaux dans la rédaction du dossier. On n'avait que 2% de chances mais on l’a obtenu avec un financement de 3,5 millions d’euros ! ».

Le 1er septembre 2021 démarre donc le projet HERMES2 pour « modulateur et démodulateur radiofréquence pour les systèmes sans fil 6G ». Les modulateurs et démodulateurs sont intégrés dans des puces électroniques et constituent le modem qui permet de communiquer sans fil. L’un des enjeux du projet était d’intégrer les circuits radiofréquences (RFIC) dans une seule puce de technologie CMOS, qui est peu coûteuse et adaptée au marché de masse.

Cette technologie est maîtrisée depuis les années 90, mais elle rencontre des limites en termes de performances pour les très hautes fréquences (comme la 6G). Un peu comme si vous essayiez de faire rouler une F1 sur un chemin de terre. Le défi des chercheurs est donc de l’optimiser pour qu’elle puisse suivre la cadence imposée par ces nouvelles générations de communications, en optimisant notamment le Front-End RF, soit l’ensemble des circuits qui gèrent les signaux de radiofréquence. En effet, quand on amplifie ou convertit un signal - une information - on veut que la sortie soit une copie parfaite de l’entrée, juste avec une puissance plus élevée. Mais en réalité, les composants électroniques introduisent des distorsions, qui déforment le signal. Si on reprend l’exemple ci-dessus du texte et des mots-clés à envoyer, c’est comme si la technologie CMOS les distordait, décrypte François Rivet. Vous pveuoz tjouorus les lire cmome ici mais les leretts ne sont pas dnas l'orrde. Il existe des systèmes pour nettoyer cela mais très gourmands en énergie contrairement à l’intelligence artificielle qui, comme notre cerveau dans la phrase précédente, va pouvoir compenser les erreurs et appliquer des corrections. Dans le projet européen, l’IA permet également d’optimiser le spectre. Reprenons également l’exemple des jets supersoniques de la 6G naviguant sur l’océan d’ondes. L’IA va agir comme un contrôleur qui optimise les routes maritimes et aériennes en temps réel.

De la recherche d’orfèvrerie

Par exemple, si une antenne 6G détecte qu’une zone urbaine est saturée en communication vidéo, l’IA peut automatiquement adapter les fréquences et envoyer les flux sur des bandes moins encombrées, comme un contrôleur ouvrirait des voies express pour des avions ou des navires prioritaires.
Dans HERMES, chaque pays a apporté son expertise. La France a piloté la recherche sur les circuits radiofréquence, tandis que l’Autriche et la Lituanie développent des modulateurs et démodulateurs haute fréquence. La Belgique intègre l'IA pour optimiser les performances et l'efficacité énergétique des systèmes et la Grèce en fait la démonstration pour la surveillance des communications radio dans le cadre du transport maritime.

Cette plaque très fine de matériau semi-conducteur, appelée wafer, peut contenir des dizaines de milliers de puces. © Gautier Dufau
Cette plaque très fine de matériau semi-conducteur, appelée wafer, peut contenir des dizaines de milliers de puces. © Gautier Dufau
Un wafer en mesure sous pointes, c'est-dire que les chercheurs testent les performances des circuits avant leur découpe et leur encapsulation. © IMS
Un wafer en mesure sous pointes, c'est-dire que les chercheurs testent les performances des circuits avant leur découpe et leur encapsulation. © IMS

Les circuits ont été conçus et dessinés à l’IMS par les chercheurs eux-mêmes. « L’IA n’arrive pas encore à remplacer le concepteur pour faire de l’orfèvrerie » précise en souriant François Rivet. Les plans des circuits sont ensuite envoyés à la société franco-italienne STMicroelectronics, seul fabricant purement européen de circuits électroniques. L’IMS a d’ailleurs un laboratoire commun avec la société, ce qui permet des échanges fructueux pour la recherche et le développement. STMicroelectronics fabrique les puces à partir de ces plans sur un wafer, une tranche ou une plaque très fine de matériau semi-conducteur qui peut contenir des dizaines de milliers de puces.
Reste une question sensible sur le sujet : qu’en est-il des ondes émises par les antennes 6G ? « Nous sommes entourés d’ondes électromagnétiques en permanence, qu’il s’agisse de la lumière du soleil, de la radio, du Wi-Fi ou de la téléphonie mobile. Comme pour les générations précédentes, la 6G respectera les normes strictes définies par les autorités sanitaires françaises et européennes », assure l’enseignant-chercheur. Des études d’impact seront menées avant toute mise en œuvre du futur réseau.
En attendant, l’équipe bordelaise a mené avec succès les premiers tests sur ses puces, confirmant que leurs innovations permettent d’atteindre les performances attendues. « Tout ce qu’on avait prévu marche. Nos résultats vont même au-delà de nos espérances et on peut maintenant dire que le projet est un succès ! », se réjouit François Rivet qui concède s’accorder, de son côté, des congés en totale déconnexion chaque été. Avant de revenir au laboratoire et sans doute déjà penser à la 7G !

1unité Bordeaux INP, CNRS et université de Bordeaux
2HERMES : High-frequEncy Radio Modulator and demodulator for 6G wirEless Systems
3sources : site photutorial

Contacts

  • François Rivet

    Coordinateur du projet HERMES
    Enseignant-chercheur à Bordeaux INP
    Laboratoire Intégration du matériau au système (IMS)

    francois.rivet%40ims-bordeaux.fr

  • Delphine Charles

    Chargée de communication scientifique

    delphine.charles%40u-bordeaux.fr

  • Sophie Serhani

    Attachée de presse

    sophie.serhani%40u-bordeaux.fr