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Vers un diagnostic de l’addiction à l’alimentation ?

Mise à jour le :

Les troubles du comportement alimentaire pourraient-ils être considérés comme une addiction et non comme une pathologie mentale à part. C’est ce que des résultats de recherche d’une équipe de scientifiques bordelais semblent démontrer. Un pas vers une stratégie de prise en charge plus appropriée dans un contexte mondial d’obésité croissante.

Photo : La validité d'un trouble de l'usage de l’alimentation a été montrée pour la première fois © Creative Cat Studio /adobe stock
La validité d'un trouble de l'usage de l’alimentation a été montrée pour la première fois © Creative Cat Studio /adobe stock

Une crise mondiale de l’obésité, sur laquelle alerte régulièrement l’Organisation mondiale de la santé (OMS), se développe en Europe* et partout dans le monde. L’augmentation de la consommation d’aliments riches, notamment en sucre, a été pointée du doigt comme un facteur majeur de cette épidémie. Une perte de contrôle dans la prise alimentaire et au-delà le concept général d’addiction alimentaire ont été étudiés par une équipe de chercheurs bordelais. Leurs travaux ont été publiés récemment dans la revue Drug and alcohol dependance.

Si le fait de parler d’addiction concernant les Troubles du comportement alimentaire (TCA) pourrait sembler évident, cela n’avait pas été démontré scientifiquement, rappelle Marc Auriacombe, professeur en psychiatrie et addictologie, directeur du laboratoire SANPSY** et co-signataire de l’étude. « Il existe encore différents courants de pensées à ce sujet ».
En effet, dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), ouvrage de référence international décrivant et classifiant les troubles mentaux, les troubles les plus sévères des conduites alimentaires que sont l’anorexie mentale, la boulimie et l’hyperphagie boulimique (ou « binge eating disorder ») sont dans une catégorie à part, et non considérés comme des addictions. Cela a pu avoir pour conséquences d’essayer de traiter ces pathologies mentales en essayant de modifier le comportement sans le comprendre. Trivialement en tentant de faire manger les anorexiques et moins manger les boulimiques. Mais si les TCA entraient dans la classification des conduites addictives, une prise en charge appropriée pourrait être apportée et généralisée.

Une perte de contrôle du comportement inévitable

Les chercheurs ont réalisé une étude chez des patients consultant pour une obésité ou un trouble addictif (pas forcément alimentaire mais pouvant être lié à l’alcool par exemple). Les critères diagnostiques ont été évalués à l’aide du mini International neuropsychiatric interview (IRT) adapté à l’addiction à l’alimentation lors d’entretiens individuels. 508 patients de 18 à 70 ans du Centre spécialisé de l’obésité (CSO) du CHU de Bordeaux et du Centre de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie de l’hôpital Charles Perrens ont ainsi été inclus dans l’étude.

Les résultats montrent, pour la première fois, la validité d'un trouble de l'usage de l’alimentation, au sens des 11 critères établis dans la classification des conduites addictives du DSM-5, avec le critère craving ou « désir urgent de consommer » comme le plus discriminant. Un signal se déclenche qui entraîne les patients à manger alors qu’ils ne le souhaitent pas à ce moment-là. Il ne s’agit pas d’une simple envie pouvant s’ajuster d’une fois sur l’autre, grâce notamment à la mémoire qui permet de rappeler de ne pas abuser de tel ou tel aliment. Il y a ici une perte du contrôle du comportement, qui est difficilement évitable.

Pour Marc Auriacombe, « ces résultats confortent l’intégration d’un module "trouble de l’usage de l’alimentation" au sein des futures versions du DSM. Est-ce qu’il faut laisser les TCA dans une catégorie à part ou est-ce qu’il faut créer une sous-catégorie des addictions, c’est encore à débattre pour lui. Mais cela a de grandes implications tant au niveau clinique qu’en termes de politique de santé publique dans le contexte de l’épidémie mondiale d’obésité. Cette prise en compte de l’addiction peut permettre d’agir au bon niveau du dérèglement comportemental, de le détecter le plus tôt possible pour éviter d’aller vers une sévérité des troubles.

Ces résultats concernent uniquement les adultes. La question de l’obésité infantile mériterait une autre exploration, explique le chercheur. L’expression d’une addiction chez un enfant, qui est en cours de développement, soulève d’autres questions qui ne sont pas encore résolues.

Cette recherche s’inscrit dans la continuité des travaux sur l’addiction aux écrans déjà publiés l’an dernier par la même équipe. La seule addiction comportementale reportée aujourd’hui dans le DSM 5 étant l’addiction aux jeux d’argent.
L’étude a été pilotée par l’unité SANPSY et le Centre hospitalier Charles Perrens, avec une collaboration avec deux autres unités de Bordeaux Neurocampus, le neurocentre Magendie, l'Institut de neurosciences cognitives et intégratives d'Aquitaine (INCIA), et avec le CHU de Bordeaux et l’université Columbia à New-York (spécialiste de la méthode IRT pour analyser les données).

 

* L’obésité : toujours des « proportions épidémiques » en Europe
** laboratoire SANPSY - Sommeil, addiction, neuropsychiatrie (CNRS et université de Bordeaux)

Références bibliographiques

Does food use disorder exist? Item response theory analyses of a food use disorder adapted from the DSM-5 substance use disorder criteria in a treatment seeking clinical sample

S-A Chapron, C. Kervran, M. Da Rosa, L. Fournet, D. Shmulewitz, D. Hasin, C. Denis, J.  Collombat, M. Monsaingeon, M. Fatseas, B. Gatta-Cherifi, F. Serre, M.  Auriacombe

Drug and alcohol dependance, août 2023

En savoir plus

Contact chercheur

  • Marc Auriacombe

    Professeur en psychiatrie et addictologie, directeur de SANPSY

    marc.auriacombe%40u-bordeaux.fr

Contact communication scientifique

  • Delphine Charles

    Chargée de communication scientifique

    delphine.charles%40u-bordeaux.fr