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Estèle Jouison : «Je souhaite à nos étudiants et nos étudiantes de cultiver leur esprit d’entreprendre»

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La troisième édition du festival Bascule(s), le 27 novembre sur le campus Bastide à Bordeaux, se penchera sur l’entrepreneuriat et la vie professionnelle comme terrain d’engagement en faveur des transitions. Estèle Jouison, vice-présidente de l’université de Bordeaux en charge de l’orientation et de l’insertion professionnelle, introduira une table ronde qui s’interroge sur la possibilité de concilier « entreprendre et avoir des principes ».

Photo : L'an dernier, le festival Bascule(s) se penchait sur la thématique du sport comme terrain d'engagement © université de Bordeaux
L'an dernier, le festival Bascule(s) se penchait sur la thématique du sport comme terrain d'engagement © université de Bordeaux

Que pensez-vous de la thématique retenue cette année par l’Institut des transitions pour sensibiliser les étudiants de l’université de Bordeaux ?

Estèle Jouison : Je pense qu’elle est extrêmement pertinente. Les changements dans le champ sociétal et environnemental ne peuvent intervenir sans prise de conscience individuelle et sans portage politique assumé, c’est un fait, mais ils ne peuvent se produire sans activer le levier organisationnel : le monde ne peut évoluer que si les organisations changent. 
La question de la dynamique entrepreneuriale est donc extrêmement importante, et il ne faut surtout pas l’enfermer dans la case de la création d’entreprise. Au cœur de cette dynamique, il y a l’esprit d’initiative, la capacité d’inventer de nouveaux modèles, de répondre à de nouveaux besoins, d’être créatif… Dans les éléments de bascule du monde, il y a l’entrepreneuriat en tant que dynamique nécessaire et incontournable. Il est important de dépasser les blocages conceptuels. 

Vous qui enseignez l’entrepreneuriat à l’université, vous constatez encore certaines réticences chez vos collègues enseignants-chercheurs vis-à-vis de cette discipline…

E.J. : Et pourtant, l’idée n’est pas de faire de l’université une usine à entrepreneurs ! Il s’agit simplement d’une voie d’insertion professionnelle possible parmi tant d’autres. Notre mission ne consiste pas à pousser les jeunes dans cette direction, mais à leur en parler, déjà, et leur en parler mieux que ne le font les médias pour leur donner un horizon, des références plus larges que les startups et Elon Musk. On l’oublie souvent mais nous sommes confrontés quotidiennement à l’entrepreneuriat sous toutes ses formes (création, reprise, intrapreneuriat…) et dans tous les domaines (sport, culture, alimentation, santé, transport…). Il est important d’expliquer à nos étudiants quelle est la réalité professionnelle des entrepreneurs, la dynamique qui les porte, les risques qu’ils prennent. L’entrepreneuriat, c’est toutes ces personnes qui choisissent de créer de la valeur pour les autres et qui essaient d’en vivre.

Comment apprend-on à des étudiants à développer leur esprit d’entreprendre ?

E.J. : Quand on dépasse les préjugés parfois associés au mot entrepreneuriat et qu’on se concentre sur les compétences que l’esprit d’entreprendre requiert, on constate qu’il s’agit d’être créatif, d’avoir des idées, de rassembler les ressources (financières, matérielles et immatérielles, humaines...) et de concevoir les processus qui vont permettre à ces idées de se concrétiser, d’être capable de porter des projets collectifs, de convaincre, de communiquer… Toutes ces compétences, nous tâchons de les cultiver, depuis longtemps déjà, dans nos formations quelles qu’elles soient. Nous encourageons ainsi nos étudiants à développer leur esprit critique, à prendre en considération l’écosystème qui les entoure ; nous cultivons leur autonomie et leur aptitude à prendre des initiatives, à oser questionner et changer les modèles, autant de qualités qui renforcent leur employabilité.

Alors que le Forum mondial de l'économie sociale et solidaire vient de s’achever à Bordeaux, on a pu constater que ce secteur n’est guère soutenu politiquement et s’inquiète de son avenir. Est-il judicieux d’encourager les étudiants à emprunter cette voie ?

E.J. : On a mis l’ESS dans une case, comme s’il s’agissait d’une économie différente, à part, mais ses contours sont plus poreux qu’on ne le pense et ses principes fondamentaux sont partagés plus largement au sein d’entreprises de l’économie dite classique. Par ailleurs, ce qui me semble important par-dessus tout, c’est que nos étudiants identifient ce qui les fait vibrer, même si la voie n’est pas la plus facile à emprunter : on n’est pas rémunéré que par l’argent qu’on gagne, mais aussi par la valeur qu’on crée, la reconnaissance qu’on reçoit, le sens qu’on trouve dans son travail. En tout cas, ce n’est pas aux jeunes d’endosser seuls l’énorme responsabilité de changer le monde. Ce dont nous avons besoin, c’est de leur indignation ; qu’ils nous demandent pourquoi c’est plus cher de manger des produits sains, pourquoi les mobilités douces ne sont pas plus développées, etc. ; qu’ils nous bousculent et nous interpellent. Et c’est à nous les actifs, qui sommes plus avancés sur le chemin, plus expérimentés, d’assumer et d’initier les changements nécessaires avec l’aide, les idées, les compétences et le souffle de nos jeunes diplômés.