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Un état des lieux inédit des contaminants chimiques d’intérêt émergent sur le littoral

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Piloté par des scientifiques de l’Ifremer, du CNRS et de l’université de Bordeaux, le rapport Emergent’Sea montre que tous les points de suivi, de la Manche à la Méditerranée, sont touchés par pesticides, médicaments, biocides... Les chercheurs, notamment du laboratoire Environnements et paléoenvironnements océaniques et continentaux (EPOC), révèlent des contaminations généralisées sur l'ensemble des sites étudiés et proposent une liste priorisée pour la surveillance du littoral.

Photo : Un échantillonneur passif POCIS (pour Polar Organic Chemical Integrative Sampler) utilisé dans cette étude et qui capte les contaminations sur un temps long dans l'eau © EPOC
Un échantillonneur passif POCIS (pour Polar Organic Chemical Integrative Sampler) utilisé dans cette étude et qui capte les contaminations sur un temps long dans l'eau © EPOC

Le rapport final du projet Emergent’Sea, conduit entre 2021 et 2024 à la demande de l’Office français de la biodiversité (OFB) par des scientifiques principalement de l’Ifremer, du CNRS et de l’université de Bordeaux, via l'équipe de Physico- et toxico-chimie de l'environnement du laboratoire Environnements et paléoenvironnements océaniques et continentaux (EPOC*), dresse un état des lieux inédit des contaminants chimiques d’intérêt émergent – pesticides, substances pharmaceutiques, biocides notamment antifoulings, plastifiants et contaminants métalliques – en milieu littoral en France métropolitaine. L’objectif d’Emergent’Sea était d’identifier des substances qu’il serait pertinent de surveiller en milieu marin. Celles-ci seront proposées pour une intégration dans la réglementation nationale de la directive-cadre sur l’eau, qui vise l’atteinte du bon état chimique et écologique des masses d’eau en Europe. Au total, 11 300 résultats ont été obtenus et mettent en évidence une diversité des contaminations sur l’ensemble des sites étudiés. À ce stade, et en l’absence de seuils écotoxiques qui devront être définis dans le futur, il est difficile de caractériser les risques pour le milieu marin.

Un vaste inventaire chimique sur une trentaine de sites côtiers

Entre 2021 et 2024, les équipes scientifiques ont mené plusieurs campagnes de prélèvements sur l’ensemble du littoral métropolitain, depuis la Manche jusqu’à la Méditerranée, en passant par la façade atlantique, sur des sites exposés à des apports d’origines urbaines, industrielles, agricoles ou portuaires dans une logique de continuum terre-mer. L’échantillonnage a été réalisé sur l’eau marine au moyen d’échantillonneurs passifs (dispositifs non biologiques qui captent la contamination sur un temps long, 26 points de suivi) et sur les mollusques (34 points de suivi). Au total, 102 substances organiques et 21 composés métalliques ont ainsi été recherchés. 

Tous les points de suivi présentent des contaminations

77 % des substances recherchées dans l’eau marine ont été mesurées (51 substances sur 66) : la contamination est majoritairement dominée par les herbicides et les résidus pharmaceutiques (notamment le paracétamol).

Chez les mollusques, 65 % des substances recherchées ont été quantifiées (34 substances sur 52), avec une contamination principalement associée aux biocides antisalissures utilisés pour éviter que les coques de bateaux ne se couvrent d’organismes marins, et aux herbicides.

Tous les points de suivi présentent des contaminations : en moyenne, 15 substances différentes sont quantifiées par point de suivi en eau marine, et 10 substances dans les mollusques.
Même un secteur plus isolé, comme l’île d’Ouessant, au large de la Bretagne, présente des traces de pesticides et de médicaments. Ces résultats mettent en évidence la présence de contaminants chimiques même dans des endroits éloignés a priori préservés.

Si nous avons pu analyser les échantillonneurs passifs, c’est parce que nous nous sommes appuyés sur des plateformes instrumentales de tout premier plan à EPOC : nos sciences expérimentales exigent une technologie de haut niveau — sans ces plateformes, ce travail serait impossible. Nous avons aussi capitalisé sur plusieurs thèses de l’université de Bordeaux engagées il y a une dizaine d’années, qui ont fait évoluer l’outil et permis de nouveaux développements : c’est le fruit du travail de plusieurs générations de doctorantes et doctorants.

Hélène Budzinski, directrice de recherche CNRS et responsable de l'étude au laboratoire EPOC

Des résidus chimiques issus des activités domestiques ou professionnelles

Parmi les substances les plus fréquemment retrouvées dans l’eau figurent des herbicides comme les métabolites de l’atrazine et du métolachlore (ces deux substances agricoles sont désormais interdites) ainsi que des médicaments courants, comme le paracétamol. 
Dans les coquillages, les scientifiques ont aussi identifié des substances biocides antisalissures. 

Sur la base des résultats obtenus et des profils de risques identifiés pour les écosystèmes marins, les substances ont été « priorisées » : 51 ont été identifiées en eau marine (grâce aux échantillonneurs passifs) et 31 sur les mollusques. Ces substances priorisées sont ainsi proposées en vue d’une possible intégration à la surveillance française dans le cadre de la Directive-cadre sur l’eau (DCE), afin de mieux évaluer l’état écologique des eaux littorales, la surveillance sanitaire faisant l’objet de dispositifs indépendants.

Vers une meilleure surveillance du littoral

Le projet Emergent’Sea ne s’est pas limité à préciser les caractéristiques de la contamination chimique du milieu côtier par diverses substances d’intérêt émergent : il a démontré, à l’échelle nationale, la complémentarité des suivis de l’eau marine par échantillonnage passif avec ceux des mollusques en milieu littoral

Ces résultats confirment qu’une surveillance optimale des contaminants organiques et métalliques en milieu littoral, dans le cadre de la DCE, passe par l’intégration systématique des échantillonneurs passifs en complément des suivis traditionnels sur mollusques. 
Ce projet a également mis en évidence le manque de seuils écotoxiques robustes nécessaires pour évaluer le risque pour les écosystèmes marins. Ces seuils resteront à définir pour les substances qui seront sélectionnées et intégrées dans la future réglementation française.

Sources : Ifremer

*unité Bordeaux INP, CNRS et université de Bordeaux

Contact

  • Hélène Budzinski

    Directrice de recherche CNRS et directrice du laboratoire EPOC

    helene.budzinski%40u-bordeaux.fr