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[Podcast] Espèces exotiques envahissantes : une lutte sans fin ?

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Ce sont des plantes, des animaux, des champignons ou même des bactéries. Téléportés à des milliers de kilomètres de leur terre natale, ils adoptent leur nouvel habitat non sans y causer quelques dégâts… Le 15 février 2024, les Rencards du savoir se penchaient sur ces organismes envahissants et leur gestion.

Photo : L'Ailante glanduleux (à droite), introduit en France comme arbre d'ornement, a recouvert une première ligne de vignes dans un vignoble du Bordelais. © A. Porté
L'Ailante glanduleux (à droite), introduit en France comme arbre d'ornement, a recouvert une première ligne de vignes dans un vignoble du Bordelais. © A. Porté

Avec leurs fleurs d’un jaune vif, les belles jussies d’Amérique du Sud étaient autrefois prisées en France pour embellir les bassins et aquariums. Aujourd’hui, elles sont regardées d’un mauvais œil et font l’objet d’opérations d’arrachage massif. En cause, leur échappée dans les cours d’eau où elles pullulent, asphyxiant par endroit une faune et une flore déjà fragilisées par les activités humaines.

En septembre dernier, un rapport de l’IPBES* (équivalent du GIEC pour la biodiversité) mettait en exergue l’impact de telles espèces exotiques envahissantes (EEE) sur la biodiversité : elles auraient contribué à près de 60% des extinctions mondiales aujourd’hui recensées. Comment expliquer leur prolifération, et en premier lieu leur venue ? Quant à la stratégie adoptée pour leur faire face, se révèle-t-elle efficace ? Le 15 février dernier, à la Librairie Georges à Talence, un café-débat des Rencards du savoir réunissait autour de ces questions avec Anabelle Porté, chercheuse en écologie forestière au laboratoire Biodiversité, gènes et communautés (Biogeco – université de Bordeaux, Inrae), Cécile Massé, référente espèces non indigènes marines à Patrinat (centre d'expertise et de données sur le patrimoine naturel), Thomas de Solan, chargé de projet sur les EEE au Conservatoire botanique nationale Sud-Atlantique et Julien Vieira, avocat au Barreau de Bordeaux et maître de conférences associé à l’université de Bordeaux, à l'Institut Léon Duguit.

Dans les bagages d’Homo mundialis

Pour mieux comprendre ces « triple E », il s’agit d’abord de bien cerner leur appellation. « Exotiques », pour commencer, pourrait être remplacé par « introduites ». Ces espèces partagent en effet comme point commun d’avoir franchi « une barrière géographique entre leur aire native et leur aire d’introduction par le biais d’activités humaines », explique Cécile Massé.
Le geste peut être intentionnel, comme c’est le cas pour de nombreuses plantes ornementales telle l’Herbe de la Pampa ou la Griffe de sorcière. Mais c’est également par inadvertance que des espèces étrangères s’invitent chez nous. Le Frelon asiatique, vraisemblablement transporté dans des poteries depuis la Chine jusqu’au Lot-et-Garonne, en est un exemple bien connu.

Moins médiatisées, de nombreuses EEE sur les côtes françaises ont été transportées par les ballastes de navires porte-conteneurs. Ces réservoirs servant de lest sont remplis d’eau dans un port puis vidangés dans un autre, pouvant déverser alors tout un tas d’organismes à l’autre bout de la planète. « C’est le plus gros vecteur d’introduction en mer à l’échelle mondiale », souligne Cécile Massé.

Mnemiopsis leidyi, une petite créature marine arrivée sur les côtes françaises probablement via les ballasts de navires. Elle fait partie de la liste de l'UICN des 100 espèces les plus envahissantes © A. Nowaczyk et C. Massé
Mnemiopsis leidyi, une petite créature marine arrivée sur les côtes françaises probablement via les ballasts de navires. Elle fait partie de la liste de l'UICN des 100 espèces les plus envahissantes © A. Nowaczyk et C. Massé

Conquérantes ou simples opportunistes ?

Ces espèces « exotiques » sont également qualifiées « d’envahissantes ». Ou plutôt, certaines d’entre elles : comme le précise Julien Vieira, il est considéré schématiquement qu’une espèce introduite sur mille deviendra invasive. Sa population va croître de façon exponentielle et l’espèce va rapidement étendre son aire de répartition. L’Ailante glanduleux qu’étudie Annabelle Porté, par exemple, peut à la fois couvrir très vite une surface par multiplication, grâce à des tiges poussant de ses racines (les drageons), et se disperser très loin par ses graines. Serait-ce là les traits communs à toutes les plantes invasives ? Ce serait trop simple : « Le malheur pour nous, gestionnaires et chercheurs, c’est que les facteurs rendant une espèce invasive diffèrent de l’une à l’autre : ils peuvent être liés à l’espèce elle-même, comme pour l’Ailante, ou être simplement le fait que l’organisme n’a pas de concurrent ou de prédateur dans son nouveau milieu », explique la chercheuse. Difficile, alors, de prédire quelles seront les prochaines invasives.

Une lutte bien difficile

L’introduction d’un spécimen d’une EEE dans le milieu naturel fait l’objet d’une sanction élevée selon l’article L. 415-3 du Code de l’environnement : 3 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende. « Cette dernière peut être doublée si l’introduction a lieu dans un espace protégé, comme un parc national », souligne Julien Vieira. Et il est prévu que le tribunal puisse mettre à charge tous les frais nécessaires à la capture, le prélèvement, la garde et la destruction des spécimens ». De quoi dissuader toute action peu scrupuleuse… Si tant est que des contrôles à large échelle soient effectués et, qu’avant cela, les espèces interdites soient connues de tous ! Thomas de Solan insiste ainsi sur l’importance de sensibiliser, tout en pointant des incohérences : bien que l’Herbe de la Pampa soit interdite à la détention en France métropolitaine, elle est encore à la vente dans diverses jardineries

Quant aux exigences de lutte prévues par les textes de loi, elles posent là aussi question. Des végétaux comme le Robinier pseudo-acacia, la Renouée du Japon ou l’Ailante glanduleux se multiplient d’autant plus s’ils sont coupés ou arrachés sans actions suivies. « Or, passé un certain stade dans la dynamique d’invasion, on s’épuise, on y arrive plus », constate Anabelle Porté. Pour l’Ailante, elle invite à opérer ainsi une gestion ciblée (sur les voies de chemin de fer, par exemple, que l’arbre détériore) tout en apprenant, ailleurs, à vivre avec.

Soulignant l’importance de prévenir de nouvelles invasions plutôt que de les guérir bon gré mal gré, les intervenants en viennent à parler changement climatique et gestion d’écosystèmes en proie à de profondes transformations. Les espèces exotiques envahissantes se révèlent être une porte d’entrée pour penser plus largement notre rapport au vivant, porte que le podcast du café-débat invite à ouvrir. 

Par Yoann Frontout, journaliste scientifique et animateur des Rencards du savoir

*Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques

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