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[Podcast] PFAS : lutter contre notre «refus de savoir»

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La salle était pleine à craquer, mercredi 22 janvier, lors d'une édition un peu spéciale des Rencards du savoir : carte blanche était en effet donnée à un groupe d'étudiantes et d’étudiants du cycle pluridisciplinaire d'études supérieures (CPES) de la licence Sciences et société de l'université de Bordeaux sur la thématique des polluants éternels.

Photo : Carl Tronders © Unsplash.com
Carl Tronders © Unsplash.com

Pour débattre, quatre intervenants étaient réunis : le sociologue Maxence Mautray, le chimiste Jérôme Santolini, le physicien Jean-Christophe Baret, et Cyril Giraud, bénévole de l’association Générations Futures. Chacun a pu situer sa parole avant que le débat ne démarre en rappelant l'omniprésence des polluants éternels dans nos vies. « Ces PFAS représentent des enjeux majeurs pour les années à venir : il faut environ 20 jours pour qu'une substance naisse, et 20 ans pour l'en retirer ! », ont insisté les animatrices en faisant référence à l'enquête du Monde ayant chiffré à 100 milliards d'euros le coût de la décontamination en Europe. Dans la salle, le public répond timidement quand on l'interroge sur les produits dans lesquels on trouve ces molécules problématiques – dans les poêles à revêtement Teflon ? Les produits déperlants ? Certaines colles ou bombes anti-incendie ?

Une résistance incroyable

« N'importe quelle molécule qui contient au moins un atome de carbone lié à plusieurs atomes de fluor entre dans l'immense famille des PFAS », rebondit alors Jean-Christophe Baret, expliquant que cela regroupe un ensemble de molécules très diverses par leur nature chimique tout autant que par leur fonctionnalité et usages. Leur point commun réside dans cette liaison chimique très courte et très énergétique entre le carbone et le fluor, telle que les molécules produites deviennent très stables. « La robustesse des PFAS pose un problème puisqu'elle conduit à leur accumulation et leur non-dégradabilité dans l'environnement », continue le spécialiste de biophysique.

Leur omniprésence dans l'histoire et l'environnement relève-t-elle d'une fatalité ? Que nenni, d'après Jérôme Santolini, rappelant que ces substances sont nées d'une fausse manipulation faite par un ingénieur chimiste dans l'Ohio dans les années 1910, alors qu'il cherchait à fabriquer un réfrigérant. « Historiquement, ce produit ne répond pas à un besoin, mais on avait sous la main un produit par accident et on lui a rapidement trouvé des usages: mousse anti-incendie, emballages alimentaires, dispositifs médicaux, membranes, lubrifiant pour les moteurs… à l'époque, ce sont alors de vraies molécules miracles ! »

« À l'époque, on ne parle d'ailleurs par de PFAS », relève Maxence Mautray, replaçant l'usage de ces substances dans un contexte d'après-guerre : l'industrie est alors tournée vers le progrès, sans considération pour les enjeux écologiques, avec des choix faits sur le seul critère de la technique, dans une cécité collective quant aux risques liés à l'usage quotidien de ces dérivés chimiques. Pour Jérôme Santolini, les industriels savaient pourtant que ces molécules étaient ultra-toxiques : « les laborantins ne se sentaient pas bien lors de leurs manipulations, ils avaient des vertiges, des problèmes au foie… donc il serait utile de creuser le concept d'innocence en particulier dans les sociétés modernes, quand on parle de l'évaluation des risques ! ».

Une contamination inouïe

Bilan ? Aujourd'hui, nous sommes toutes et tous exposés : « il y a une forme de contamination généralisée », explique ainsi Cyril Giraud, rappelant que son ONG, Générations Futures, se penche initialement sur l'usage de produits chimiques dans l'agriculture. « Nous nous sommes intéressés aux PFAS par le biais des contaminations industrielles dans la Vallée du Rhône. Nous avons interrogé l'Union européenne pour savoir s'il y avait des PFAS dans les pesticides. Résultat : 37 molécules chimiques relevant des PFAS sont aujourd'hui autorisées comme substance active dans les pesticides. Or, ces produits sont répandus en quantités importantes », déplore le militant.

Pour aider le public à y voir clair, Générations Futures a publié une carte montrant les substances toxiques auxquelles est exposée la population, département par département. « Nous avons récupéré les données d'achat des substances actives, car ce sont les seules données publiques. Cela ne dit rien de leur usage, mais au prix que ça coûte, cela fait peu de doute ! », note encore Cyril Giraud, précisant que si les substances actives sont déclarées par les fabricants, rien n'est dit des adjuvants et autres formules tenues secrètes dans ces produits – ce qui, bien souvent, a des « effets cocktails » problématiques.

Pour Maxence Mautray, tout cela reflète la complexité des problématiques environnementales et la manière dont elles sont indéniablement liées à des inégalités protéiformes – géographiques, sociales, et toujours en défaveur des publics les plus vulnérables.
 

Le public était au rendez-vous de ce Rencard du savoir, organisé mercedi 22 janvier 2025 à la Manuco, un espace collaboratif à Bordeaux © université de Bordeaux
Le public était au rendez-vous de ce Rencard du savoir, organisé mercedi 22 janvier 2025 à la Manuco, un espace collaboratif à Bordeaux © université de Bordeaux

Revenir au bon sens

Quelles réponses apporter à ce problème public ? Pour Jérôme Santolini, la première étape serait de lutter contre notre « refus de savoir » : « le mal premier contre lequel on doit lutter aujourd'hui, c'est ce mésusage des savoirs, cette capacité à continuer à prétendre que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes malgré les alertes scientifiques. Ce qu'on sait, il faut l'inscrire dans nos vies. » La charte de l'environnement, le règlement REACH et le principe de précaution devraient aussi nous protéger... mais l'influence des lobbies et de responsables politiques sensibles à leurs manœuvres explique aussi l'existence de brèches qui aujourd'hui nous mènent dans cette situation, ont convenu les intervenants.

Dispose-t-on d'alternatives à ces produits, s'inquiète une personne dans le public ? Oui, selon les applications et les usages. « Si on veut une poêle anti-adhésive, nous ne sommes pas obligés d'avoir un revêtement d'effet de Teflon dessus. Il y a des alternatives sur certains produits — et ils peuvent être effectivement remplacés. Pour le reste, il y a des applications sur lesquelles on va avoir besoin de recherches pour trouver des produits de remplacement, et cela va prendre du temps », note Jean-Christophe Baret.

Le sujet principal n'est-il donc pas celui de nos besoins ? « La question est de passer de cette question de la solution à celle du bon sens, et de la question de la substitution à celle du besoin » insiste Jérôme Santolini, « quand les PFAS sont arrivés, on n'en avait pas besoin. Ils se sont imposés à nous, ils ont créé leurs propres besoins. Je ne sais pas si on vivait mieux ou moins bien, mais je sais qu'une bonne réponse face à cette toxicité consiste à s'interroger sur le recours à ces substances dans nos usages ».
Et, par précaution, consommer des produits bio autant que possible, se former en sciences, et parler de ces questions à son entourage.

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